9 février 2017

Mon histoire de l’IREP

Une histoire  personnelle de l’IREP à partir de mon cheminement professionnel de 1966 à 2003

André Rosanvallon, janvier 2017

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Introduction

J’ai été recruté en décembre 1966, comme assistant à l’université à l’IES (Institut d’Etudes Sociales) qui deviendra l’IREP un peu plus de deux ans après. J’ai quitté le même institut pour partir en retraite au 1er janvier 2004, un an après la fin de l’IREP en tant que tel.  Chronologiquement les dates des deux histoires, celles de l’IREP et celles de ma trajectoire professionnelle correspondent, la durée des deux étant sensiblement identique.

 

Le travail qui suit, rend compte de l’histoire de l’IREP que j’ai vécu pendant près de 40 ans. C’est donc une histoire tout à fait partielle et personnelle de l’institut, autour des événements et des initiatives auxquels j’ai eu la chance d’avoir été directement associé au cours de ma carrière professionnelle. A ce titre, c’est une histoire doublement incomplète, du fait de ma situation personnelle dans l’institut.

 

-.Toute ma vie active a eu pour unique cadre l’institut. Je suis toujours parti et revenu au même endroit : l’IREP, avec cependant deux parenthèses, au cours desquelles j’étais en situation de détachement à l’étranger. Une première parenthèse en Algérie de juillet 1968 à juillet 1970 : comme coopérant militaire au ministère de l’agriculture puis comme assistant à l’Institut d’Etudes Politiques d’Alger. Une seconde parenthèse à Madagascar de juillet 1976 à juillet 1978, comme expert du BIT. Ce travail fait l’impasse sur ces deux périodes.

 

– Cette histoire est par ailleurs celle que j’ai vécue pendant toutes ces années toujours dans la même équipe de l’institut : l’équipe travail. Ce qui explique que je ne peux pas faire état de manière autant détaillée des activités des autres équipes : équipe industrialisation et développement, équipe agricole, équipe de l’économie de l’énergie, équipe de l’économie de la santé, équipe régionale.

 

 

L’histoire de l’IREP qui est décrite ci-après n’est qu’un fragment de mémoire. La vraie histoire reste à écrire. Ce serait une belle et très utile initiative.

 

 

 

 

Les principales étapes de l’histoire de l’IES, de l’IREP, de l’IREP-D, et de l’IREPD

 

1965 : création de l’IES par de Bernis qui en est le premier directeur

 

1969 : de Bernis démissionne. Il est remplacé par Dessau. L’IES change de nom et s’appelle désormais l’IREP (Institut de recherche Economique et de Planification), qui devient une UER rattachée à l’Université des sciences sociales, crée dans le prolongement des événements de 68. Dans le même temps, et progressivement l’institut quitte les locaux de la rue Général Marchand pour déménager au  campus.

 

En décembre 1978, Jan Dessau, annonce sa décision de démissionner de son poste de directeur. En début d’année 79, il sera remplacé par Bernard Mériaux. Au sein de l’UPMF, l’IREP est une UER (unité d’enseignement et de recherche), à dominante recherche. Sous l’initiative de Bernard Mériaux, elle devient équipe associée au CNRS. L’IREP change de sigle et devient l’IREP-D en y ajoutant une référence à la planification (institut de recherche économique et de planification du développement).

 

– Pierre Judet succède à Mériaux comme directeur de l’IREP-D en 1983.

 

– en 1989, Amédée Mollard remplace Pierre Judet. Le sigle reste le même, mais la référence à la planification disparaît, remplacée par la référence à la production. L’IREP-D devient l’IREPD (institut de recherche sur la production et le développement).

 

– Plusieurs directeurs lui succèdent : Claude Courlet d’abord entre 1993 et 1996, ensuite Michel Hollard entre 1996 et 1999, puis Bernard Billaudot en 1999

 

– En 2002, les deux UFR DGES et sciences économiques fusionnent pour donner naissance à la nouvelle UFR ESE (Economie, stratégie d’entreprise). La même année, Billaudot est remplacé par Yves Saillard, qui sera le dernier directeur de l’IREPD avant que l’institut disparaisse et qu’il soit remplacé à partir du 1er janvier 2003 par le LEPII (laboratoire  d’économie de la production et de l’intégration internationale).

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

La période de l’IES

 

De mon recrutement à l’université à mon départ en Algérie

Décembre 1966 – Juillet 1968

 

 

 

Gérard Destanne de Bernis me recrute au mois de décembre 1966 à l’Institut d’Etudes Sociales. Il me charge de lancer et d’animer au sein de l’Institut d’Etudes Sociales (IES), le Centre Départemental de Documentation du Travail (le CDDT) que je dirige jusqu’à mon départ en Algérie au début du mois de juillet 1968

 

 

 

L’IES est le noyau historique de ce qui deviendra l’IREP puis l’IREPD. Il est le produit d’une histoire qui commence au début de la décennie 50, et qui s’accélère au milieu de la décennie 60. Il est au cœur du « mythe grenoblois » qui apparaît et se développe au même moment. Plusieurs livres en témoignent, en particulier : celui de Pierre Frappat « Grenoble le mythe blessé », celui de Dominique Dubreuil « Grenoble ville test », ou encore celui de Jean Giard et Daniel Hollard « A la recherche du citoyen : histoire(s) de GO ». Au delà de son insertion au plan local, l’IES occupera une place de pionner et de leader au niveau national et international, comme centre de référence et d’expertise pour l’analyse du sous développement aux lendemains des indépendances africaines, à partir du début des années 60.

 

La place de l’IES dans l’histoire de l’université grenobloise est doublement originale. Elle est d’une part le témoignage de l’insertion de l’université dans son environnement et comme acteur de la société civile engagé dans la promotion collective des travailleurs. D’autre part et surtout,  l’IES, au cours des années 60, a été au cœur d’un changement majeur dans le positionnement idéologique de l’Université dans la cité.

 

I. L’origine de l’IES : le contexte de sa création en 1965

 

 

L’acte fondateur, à l’origine de la création de l’IES, remonte au début des années 50. En janvier 1952, éclate un conflit très dur à la Viscose, une entreprise de textile artificiel implantée à Echirolles. Le conflit porte sur les conditions de travail et le refus des travailleurs à l’intensification des cadences que décide la direction de l’usine à la suite d’un chronométrage général des temps de travail. A l’occasion de ce conflit, Henri Bartoli, Professeur d’économie à la Faculté de Droit de Grenoble rencontre les militants syndicaux. Il lance avec eux les bases du futur Institut des Sciences Sociales et du Travail : le « Centre d’Education Ouvrière ».

 

En 1957 une loi est votée qui ouvre de nouveaux droits en matière de congé-éducation des militants syndicaux. Cette loi sera à l’origine de la création des futurs instituts du travail sous l’impulsion au plan national de Marcel David. A Grenoble, le « Centre d’Education Ouvrière » deviendra le premier « Institut régional du travail » dont Henri Bartoli assure la direction.

 

Quelques années plus tôt, en 1956, s’est crée l’Institut Economique et Juridique de l’Energie (IEJE) à la suite d’une longue histoire qui commence au milieu des années 1920.

 

 

Les étapes de la création de l’IEJE

 

Aux environs de 1925, l’Ecole d’Ingénieurs de Grenoble et la Faculté de Droit lancent « Les conférences juridiques de la Houille Blanche » dans le but de trouver des solutions juridiques aux problèmes que pose le transport d’électricité à longue distance. A la veille de la seconde guerre mondiale, Jean-Marie Jeanneney qui vient d’être nommé Professeur d’économie à la Faculté de Droit de Grenoble, s’intéresse à ces « conférences savantes ». Il crée « l’Institut Juridique de la Houille Blanche » à la Faculté de droit. Ce nouvel institut est essentiellement un centre de formation en économie, ouvert aux élèves ingénieurs de l’Ecole Supérieure d’Electricité de Grenoble. Alors qu’il n’était encore qu’un institut de la Faculté de Droit au cours de la première moitié des années 1950, l’institut s’était fait connaître par l’ouvrage de J.M. Jeanneney et C.A. Colliard « Economie et droit de l’électricité ».

 

Au même moment, les responsables industriels à l’initiative de Gabriel Dessus, premier directeur des études économiques d’EDF, militent pour la transformation de l’IEJE en institut d’université. Ce qui sera fait en 1956. A cette date, par décret ministériel, cet institut de formation se transforme en un institut universitaire de recherche sur les problèmes de l’énergie : l’Institut Economique et Juridique de l’Energie (IEJE). Hubert Brochier qui a remplacé J.M Jeanneney en est le premier Directeur. Il recrute Jean-Marie Martin comme Assistant lors de la création de l’Institut.

 

En 1958, Hubert Brochier part au Japon comme Directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo. Il est alors remplacé à titre officieux par Yves Mainguy, puis par Gérard de Bernis, quand celui-ci rentre de Tunis… puis par Jean Marie Martin, après la démission de de Bernis.

 

 

 

En 1965, l’ « Institut régional du travail » et l‘IEJE se regroupent pour former l’IES (Institut d’Etudes Sociales) sous la direction de Gérard de Bernis.

 

Auparavant deux évènements concomitants seront déterminants des conditions de création et de fonctionnement du nouvel institut : l’arrivée de Gérard de Bernis à Grenoble d’une part, le conflit de Neyrpic d’autre part.

 

1. L’arrivée de Gérard Destanne de Bernis à Grenoble[1]

 

Gérard de Bernis est un des membres fondateurs de la MNEF (Mutuelle Nationale des Etudiants de France) et ancien Président national de l’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) en 1950-1951, avant de devoir démissionner pour cause de participation au congrès fondateur de l’Union Internationale des Etudiants à Prague.

 

A la sortie de ses études, il occupe un premier poste de professeur à l’université catholique de Lille. Après avoir réussi son concours d’agrégation, il est nommé en 1957 Professeur d’économie à l’Institut des Hautes Etudes en Tunisie (qui deviendra la première université tunisienne) où il remplace Raymond Barre. A l’automne 1958, il crée à Tunis un bureau de l’ISEA (Institut des Sciences Economiques Appliquées) en accord avec François Perroux. Il reste en Tunisie jusqu’en 1959, entretenant de très étroites relations avec le ministre de l’économie de l’époque : Ben Salah.

 

A cette date, les relations sont très tendues entre la France et la Tunisie après le bombardement de Sakiet le 8 février 1958 et l’évacuation des troupes françaises de Tunisie. A la suite d’un article très critique qu’il a écrit sur la politique de la France en Tunisie, Gérard de Bernis est obligé de quitter la Tunisie durant l’été 1959, rapatrié en France sur ordre de l’Ambassadeur de France. Il laisse la responsabilité du bureau de l’ISEA à Pierre Judet.

 

Il débarque à Grenoble en mars 1960 et prend de suite de nombreuses responsabilités. Il succède au Professeur Henri Bartoli comme Directeur du Centre d’Education Ouvrière. Il prend la direction de l’IEJE, et crée en même temps une équipe chargée de la formation de militants agricoles qui deviendra le CNEEJA (cf. ci-après). En 1960, il recrute ses premiers assistants : Christine Beauviala (mademoiselle Ripert à l’époque) au Centre d’Education Ouvrière, Marc Girardin au CNEEJA

 

En 1962, peu de temps après son arrivée à Grenoble, éclate le conflit Neyrpic, où il sera un des acteurs clés de son déroulement

2. Le conflit Neyrpic

 

  1. Un conflit révélateur de l’époque du « miracle économique »

 

Pour V. Chomel, Directeur des archives départementales de l’Isère auteur de « Histoire de Grenoble », « il n’y a pas de doute, l’affaire Neyrpic a marqué un tournant dans l’histoire de la ville. Le Grenoble d’aujourd’hui date de 1962 avec l’affaire Neyrpic » (propos cité par Pierre Frappat, page 97).

 

Plusieurs articles dans des revues de l’époque (dont Esprit et la Revue des Temps Moderne) ont rendu célèbre ce conflit. Plusieurs ouvrages en rendent compte. Deux sont plus importants : i) le livre de Pierre Frappat, « Grenoble le mythe brisé » qui consacre un chapitre à cette affaire intitulé « Neyrpic : le conflit qui ébranla Grenoble » et qui en donne une chronologie très précise ; ii) et surtout le livre culte de l’époque de Pierre Belleville intitulé : « Une nouvelle classe ouvrière », où le cas de Neyrpic fait l’objet d’une analyse très fine pour témoigner et démontrer l’émergence de cette nouvelle classe ouvrière, dans le chapitre V intitulé : « Grenoble : la classe ouvrière conquiert ses nouvelles frontières ». Très curieusement les historiens du syndicalisme ouvrier dans l’Isère en parlent peu. Jean Bron dans son « Histoire ouvrière de la CFDT dans l’Isère » (PUG 1984) ne consacre qu’un peu plus d’une seule page au conflit (pages 109-110), alors que Clément Bon, l’historien de l’UD CGT ne publie qu’une photo d’une manifestation des travailleurs de Neyrpic (avec en tête de cortège, Pierre Lami, responsable syndical CGT) dans son livre « Etapes… sur la route des succès : naissance et développement de l’UD CGT de l’Isère » (Service des publications de l’U2 pour le compte du CDDT, ouvrage non daté).

 

Au début des années 60, plusieurs conflits éclatent qui auront un retentissement national et qui préparent les évènements de mai 1968. Ils ont en commun de remettre en cause les modes de gestion capitaliste des patrons d’entreprise. Trois sont plus importants : i) le conflit des mineurs de Decazeville (décembre 1961 à février 1962) qui occupent les locaux pour s’opposer à la fermeture du bassin minier, ii) la grève nationale des mineurs de Lorraine en mars et avril 1963, qui bénéficiera d’un large soutien de l’opinion publique au niveau national, iii) le conflit Neyrpic de décembre 1962 à juillet 1963, dont il est ici rendu compte.

 

  1. Les caractéristiques du conflit Neyrpic

 

Son contexte

 

La décennie 60, est une étape très importante dans le processus de restructuration de l’économie grenobloise qui passe d’un capitalisme familial à un capitalisme industriel et bancaire, à l’issue d’un double processus  de concentration et d’internationalisation. C’est ainsi qu’au début des années 60, – i) la famille Bouchayer perd le contrôle du groupe industriel local « Bouchayer-Viallet » spécialisé dans la fabrication d’équipements hydro-électrique, après que celui-ci fut absorbé par le groupe Creusot-Loire, ii) le groupe Schneider rentre dans le capital de Merlin Gerin, iii) l’entreprise Neyrpic passe sous le contrôle d’Alsthom, iv) les banquiers locaux et régionaux sont absorbés par les grands groupes financiers nationaux, alors qu’au même moment, le groupe américain Caterpillar s’implante à Grenoble.

 

Traditionnellement, le patronat local est un « patronat social ». Il a été le premier à introduire en France dès 1920 les allocations familiales pour leurs ouvriers. Il a été aussi le premier à créer la promotion supérieure du travail avec l’université, pour la formation d’ingénieurs par des cours du soir. Henri Dagallier, le patron de Neyrpic est très représentatif du milieu des industriels grenoblois de l’époque. Il est très proche du courant démocrate chrétien. Il est d’ailleurs responsable national de l’ACI (Action Catholique des Milieux Indépendants). (Pour la petite histoire il est dans la même paroisse que Gérard de Bernis : la paroisse Saint Joseph à Grenoble). La situation sociale des travailleurs de Neyrpic est une référence pour les autres syndicats de la région grenobloise. Les salaires y sont supérieurs de 10 à 20 % à ceux de la plupart des autres entreprises de la région.

 

 

 

Ses origines

 

Un premier accord d’entreprise portant sur les rémunérations est signé en octobre 1961 entre la direction de Neyrpic et l’ensemble des organisations syndicales de l’entreprise. Il prévoit une indexation et une augmentation automatique des salaires en cas d’augmentation du coût de la vie de 5%. Quelques mois plus tard, en janvier 1962, un second accord général est signé qui accorde un certain nombre d’avantages sociaux. Par son contenu, il est très en avance sur son temps. Il comporte en particulier la reconnaissance pour la première fois des sections syndicales de l’entreprise et donne des garanties légales aux délégués syndicaux.

 

Pour le patronat local et national, Neyrpic devient un mauvais exemple qui risque de faire dangereusement tâche d’huile. Son patron est estimé dangereux par ses pairs et par le syndicat patronal de l’époque : le CNPF. Il faut s’en débarrasser.

 

A cette époque, suite à l’annexion des ateliers Neyret-Beylier en 1961, l’entreprise est confrontée à une importante crise de trésorerie. Elle doit faire appel aux banques. Celles pressenties refusent les prêts sollicités. Elles exigent la caution du principal actionnaire, le groupe Alsthom. Ce groupe finit par donner sa caution à une condition : que le directeur de Neyrpic cède son poste à son homologue d’Alsthom. Dagallier, est alors remplacé en décembre 1962 par Glasser, PDG d’Alsthom, qui est en outre président de la Chambre Syndicale des Constructeurs de gros matériel électrique et membre éminent des milieux dirigeants du CNPF.

 

Huit jours seulement après sa désignation, le nouveau PDG dénonce l’accord général d’entreprise et en particulier la reconnaissance des sections syndicales d’entreprise. Il annonce par ailleurs une vague de licenciements qui se traduira dans les faits par la suppression d’un millier d’emplois.

 

 

Les étapes et les formes du conflit

 

Cette décision entraîne très rapidement un mouvement social qui sera le plus long et le plus dur de l’histoire de Grenoble. De décembre 1962 à juillet 1963, ce fut en effet une succession de grèves, de manifestations et de meetings.

 

La rupture de l’accord provoque immédiatement la colère des ouvriers. Ils seront les premiers à débrayer. Rapidement, dans un second temps, ils sont rejoints dans leur combat par les agents de maîtrise qui refusent l’abandon de la politique des relations sociales menée par l’ancienne direction de l’usine… puis dans un troisième temps, par l’ensemble des mensuels et surtout par les ingénieurs. Tous dénoncent les méthodes de gestion du patronat. Le conflit de Neyrpic devient exemplaire d’un mouvement unitaire de lutte rassemblant l’ensemble des catégories de l’entreprise : des manœuvres aux ingénieurs. Pour la première fois, des cadres (il y a environ 500 cadres sur un total de 4000 salariés) se trouvent partie prenante d’un conflit social qui porte sur des remises en cause radicales.

 

En dehors de l’entreprise, les répercussions de l’affaire Neyrpic seront considérables tant sur le plan grenoblois qu’au plan national. La presse nationale y consacre de très nombreux articles. Le conflit est emblématique de l’émergence d’une « nouvelle classe ouvrière » prenant appui sur de nouvelles forces sociales (cf ci devant Pierre Belleville). Il marque le développement de nouvelles pratiques et de nouvelles formes de luttes sociales au sein des entreprises. Il révèle d’une part, de nouveaux modes d’engagement des militants syndicaux au plan de leur entreprise et de la cité et d’autre part de nouveaux modes de gestion des collectivités locales et territoriales en y associant de manière plus démocratique les forces vives de la cité.

 

  1. Le conflit Neyrpic : la rupture entre l’université et le patronat local

 

Le conflit Neyrpic aura un retentissement national. Pour reprendre l’expression de Pierre Belville, le théoricien de la nouvelle gauche, ce conflit marque l’émergence d’une nouvelle classse ouvrière (cf ci-dessus). Il aura un retentissement local et régional encore plus ample. Il marque la rupture de l’université de Grenoble avec le patronat local et le développement d’un nouveau partenariat avec les organisations politiques et syndicales représentatives du mouvement ouvrier. Il sera ainsi un temps fort de recomposition et de renversement des alliances au plan local, entre l’Université, les partis politiques, les organisations syndicales ouvrières et les organisations patronales locales. Il provoque un divorce de l’université avec le patronat local.

 

Dés le départ, l’Université de Grenoble s’est construite autour de relations étroites avec le monde de entreprises. C’est ainsi qu’en 1893, l’Université de Grenoble crée un cours et un laboratoire d’électricité industrielle subventionnés pour les deux tiers du montant de l’investissement, par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Grenoble.

 

En 1947, Paul Louis Merlin, le PDG du plus grand groupe industriel grenoblois crée les Amis de l’Université qui est administrée par les présidents des différents syndicats patronaux. Dans les années 50, l’emprise du milieu patronal sur l’université est telle que nombreux sont ceux à Paris, au ministère de l’éducation, qui considèrent (souvent pour s’en plaindre) que le vrai patron de l’université grenobloise est le patron de Merlin-Gerin.

 

Le conflit Neyrpic fut l’occasion d’un événement inimaginable quelques années auparavant : le divorce de l’Université de Grenoble avec le milieu patronal et son engagement actif en faveur du mouvement syndical. Dés le début du conflit, de Bernis met sur pied un comité de solidarité universitaire avec les travailleurs de Neyrpic. Au printemps 1963, en plein cœur du conflit, c’est le Doyen Goré de la faculté de droit qui préside le plus important meeting de soutien aux travailleurs de Neyrpic. Au même moment, de Bernis organise et anime un colloque national sur le thème de « La reconnaissance légale de la section d’entreprise et de l’extension et du libre exercice des droits syndicaux sur les lieux de travail ».

 

  1. Dans le prolongement du conflit : la création d’un « Comité de l’emploi et des libertés syndicales 

 

Dans le prolongement du conflit Neyrpic, l’université participe activement à la mise en place d’un « Comité de l’emploi et des libertés syndicales » qui réunit les partis politiques de gauche, les syndicats ouvriers et la nouvelle municipalité de Grenoble autour de Dubedout. Ce comité organise à Grenoble un colloque les 12 et 3 juin 1965 pour « examiner la situation de l’emploi à Grenoble qui ne cesse de se détériorer, comprendre les raisons de cette situation et dégager les voies d’une action efficace ».

 

A l’issue du colloque, une résolution est adoptée à l’unanimité qui demande la création d’un centre de documentation commun aux organisations syndicales et politiques de gauche. H. Dubedout, nouvellement élu maire de Grenoble, donnera son accord pour financer un tel centre qui deviendra le « Centre Départemental de Documentation du Travail » qui sera rattaché à la demande de toutes les organisations membres du Comité de l’Emploi, à l’université par l’intermédiaire de l’Institut d’Etudes Sociales.

 

 

II. L’Institut d’Etudes Sociales en 1967-1968

 

Aujourd’hui, il est particulièrement difficile de rendre compte de façon concrète et exhaustive des activités que développera l’IES, tant au plan local et national en matière de promotion collective qu’au plan international à travers ses interventions en Afrique et plus accessoirement en Amérique Latine. Il est tout autant mal aisé de rendre compte du mode de gouvernance de l’IES, surtout si on cherche à le comparer avec la manière dont fonctionnent actuellement les centres de recherche universitaire en sciences sociales.

 

1. Le fonctionnement de l’IES

 

L’IES est un institut directement rattaché au Rectorat, le Recteur étant le Chancelier des universités. (L’université des sciences sociales ne sera créée qu’après 1968 avec l’adoption de la loi Edgar Faure). Quand je rentre à l’IES, les locaux sont à proximité de la Faculté de Droit et d’Economie, place de Verdun. Ils sont répartis entre un bâtiment de deux étages qui donne sur la rue Général Marchand (où le Secrétaire Général du Rectorat occupe un appartement de fonction) et l’étage d’un immeuble de l’autre côté de la rue Voltaire qui abrite l’équipe agricole. A l’entrée du bâtiment il y a une minuscule cour, où les chercheurs entassent (il s’agit quasiment d’un empilement !) leurs véhicules. Heureusement, ils sont de petites tailles, la 2 CV et la 4 L étant les voitures standard, à l’exception de celle de Gérard de Bernis qui lui a un vieux mini bus Fiat

 

Le fonctionnement de l’IES repose sur un « contrat mutuel de recherche sur une base coopérative » et sur deux centres de décision : un Directeur et une Assemblée Générale souveraine des chercheurs qui se réunit de manière régulière et qui est statutairement prééminente[2].

 

Gérard de Bernis qui est le Directeur de l’IES est un chef charismatique qui dispose d’une énorme autorité morale et intellectuelle qui n’est pas contestée au moins de manière frontale. Il centralise de fait tous les pouvoirs au plan financier comme au plan scientifique. A partir de 1967, il sera secondé par Jan Dessau (cf ci après) qui quitte l’ISEA pour le rejoindre à Grenoble. Son pouvoir cependant est contrebalancé par une Assemblée Générale qui est souveraine et dispose de tous les pouvoirs en particulier en matière de recrutement (par cooptation à l’issue d’un vote de l’assemblée générale) et de gestion financière et budgétaire, dont le fonctionnement est réglé par une « convention collective » qui a été adoptée en 1965 lors de la création de l’IES. A travers cette AG, l’ambition de de Bernis était que l’institut s’applique à lui‐même et dès maintenant les règles que ses membres voulaient construire pour toute la société.

 

 

Ce qui fait l’originalité de l’institut, c’est l’existence d’un collectif de chercheurs, autour en particulier de Christine Beauviala qui est entrée à l’Institut d’Etudes Sociales en octobre 1960, et sera responsable  de l’Institut du Travail de 1965 à 1968

 

En pleine crise en 1968, G. de Bernis, dans un rapport à l’AG du 29 juin, fait un certain nombre de propositions de réorganisation , de JF Troussier dont la moyenne d’âge est de 31,5 ans, extrêmement solidaires, fortement motivés et qui adhèrent à des règles collectives partagées. En 1966-1967, l’institut comprend une vingtaine de chercheurs, le plus souvent et majoritairement hors-statut. Le personnel bénéficie d’une grille indiciaire de salaire unique et d’un même statut, ce qui aplanit les disparités d’origine historique et/ou institutionnelle, en particulier en ce qui concerne les modalités d’avancement. La mise en œuvre d’un tel statut est grandement facilitée par le fait qu’à l’époque aucun des chercheurs n’a de préoccupation prédominante de carrière et que règne entre eux beaucoup de convivialité et d’échange, et par le fait qu’une « caisse noire » alimentée par les indemnités de missions à l’étranger dans le cadre en particulier des missions des Nations-Unies, permet de verser les compléments de salaires correspondants à l’uniformisation des salaires.

 

Tous ont une grande proximité au plan professionnel. Tous partagent les mêmes valeurs et les mêmes pratiques déontologiques en matière de recherche autour de projets communs. En outre leur solidarité dépasse largement le cadre professionnel.

 

 

2. Les activités à l’origine de l’IES

Dés le départ, les activités de l’IES sont orientées dans deux directions, à la fois vers le « Nord » et vers le « Sud ». Vers le « Nord », une activité est principale : la promotion collective. Vers le « Sud » les activités sont ciblées sur la coopération avec les pays en développement. Elles ont en commun d’exprimer une solidarité active vis à vis des groupes les plus défavorisés : la classe ouvrière au Nord, le Tiers Monde au Sud.

 

  1. Une activité centrale : la «promotion collective »

 

Dans l’introduction du numéro spécial du « Bulletin de la Maison de la Promotion Sociale » (N° 5, juin 1968) consacré à la promotion collective, Gérard de Bernis donne une définition de la promotion collective qui témoigne des missions que se fixe l’Institut en la matière. On ne peut pas se priver du plaisir de reproduire aujourd’hui ce qu’il écrit à cette occasion et de retrouver un « jargon » qui a disparu du milieu universitaire depuis bien longtemps.

 

 

Gérard de Bernis  La promotion collective : signification et exigences

 

« La promotion collective n’est ni une institution, ni une méthode. Elle est la contestation révolutionnaire et constructive, le refus en même temps que la critique positive de la société industrielle capitaliste. … Elle n’a de sens dans la société infra humaine où nous vivons que comme anticipation de la société humaine qu’elle contribue à faire émerger…. La promotion collective des travailleurs constitue en effet la négation même de l’aspect par lequel la société capitaliste mutile fondamentalement le travail de l’homme, la domination du travail par l’argent dominé en capital…. La promotion collective des travailleurs c’est la reconnaissance par une société de la nature même du travail, l’établissement d’une correspondance véritable entre la signification collective du travail et la signification concrète et quotidienne qu’il prend pour chacun des travailleurs… Le mouvement ouvrier est le lieu où le travailleur cherche et trouve sa dignité, refuse l’exploitation pour se déclarer libre, échappe à l’obscurantisme et se forme de fait, même involontairement, des moyens entièrement nouveaux d’accès à la culture, vit et met en œuvre la grande fraternité universelle du travail. »

 

 

La promotion collective est la finalité principale de l’IES. Elle est au cœur de ses activités et du projet qu’elles sous tendent. Elle repose sur l’idée qu’il ne peut pas y avoir de promotion individuelle, si le système d’exploitation au sein duquel travaillent les individus n’est pas remis en cause. Dans cette perspective, la promotion collective vise le renforcement des organisations syndicales que les paysans et les ouvriers se sont données pour les défendre et favoriser leur promotion, à travers la formation de leurs représentants.

 

Deux centres universitaires sont rattachés à l’IES, qui sont distincts et complémentaires : le CNEEJA et L’Institut Régional du Travail. Leurs activités s’inscrivent dans le cadre de la loi sur le congé-éducation des militants syndicaux. Elles bénéficient d’une subvention l’une du Ministère du Travail et l’autre du Ministère de l’Agriculture.

 

D’une part, le CNEEJA [3](Centre National d’Etudes Economiques et Juridiques Agricoles) qui forme les militants des organisations syndicales et professionnelles agricoles, sous la forme de stages et de modalités pédagogiques semblables à celles de l’institut du travail, et développe des recherches qui accompagnent ces formations, dans la perspective d’une alternative crédible à l’industrialisation de l’agriculture. Ces travaux de recherche donneront lieu en 1964, à un gros ouvrage collectif (314p) qui a marqué le profil de l’équipe : L’« industrialisation de l’agriculture », où cette perspective est présentée comme une chance pour les petites exploitations, à condition de la construire avec un système coopératif ancré sur les petits producteurs et des « coopératives polyvalentes de base », comme alternative à la voie capitaliste.

 

D’autre part, l’Institut Régional du Travail, dont Christine Beauviala est responsable, est un centre universitaire ayant pour vocation de former les militants des organisations syndicales ouvrières reconnues comme représentatives par le ministère du travail : CGT, CFDT, CGT-FO. Les stages de l’Institut Régional du Travail (quatre à cinq par an et par syndicat) sont organisés à la demande de chacune des organisations ouvrières. Il s’agit : soit de stages à contenu économique pour permettre aux stagiaires de mieux analyser et de mieux comprendre leur environnement économique et social, soit de stages plus juridiques sur le droit du travail en particulier qu’il s’agisse des droits individuels ou des droits collectifs. Ils sont co-dirigés par un universitaire et un responsable syndical, autour d’un programme dont le contenu est défini en commun entre les membres de l’institut et les représentants de l’organisation concernée. Chaque thème est traité par un conférencier choisi en commun. Les stages (environ 25 stagiaires par stage) se déroulent en 6 journées, chacune commençant par un exposé du conférencier, suivi d’un temps de réflexion individuelle puis en groupe. Chaque journée de travail se termine par une mise en commun des travaux des groupes. Les stages ont lieu soit dans les locaux de la Faculté de Droit, soit à Crolles au FREP (Foyer Régional d’Education Populaire), soit plus tard à la MPS (Maison de la Promotion Sociale) à l’entrée du campus. Au moins une fois par stage, les stagiaires participent à une soirée culturelle, souvent à une pièce de théâtre dans l’amphithéâtre de la Comédie des Alpes dans la chapelle du collège des jésuites mitoyenne du lycée Stendhal.

 

Si les stages de formation constituent l’activité principale de l’institut, celui-ci aura de très nombreux contacts avec le laboratoire d’ergonomie et de physiologie du travail du CNAM (dirigé alors par Alain Wisner), avec des psychiatres sur la santé mentale au travail, ainsi qu’un colloque sur les accidents du travail, ou encore avec des juristes du travail, et notamment avec Pierre Ollier

 

 

  1. Les activités de l’IES à l’international

 

Avant la création de l’IREP, les activités de l’IES à l’international ont un statut un peu particulier. Elles sont plus ou moins intégrées institutionnellement à la vie de l’institut. Elles sont multiformes, entre des activités d’études et de recherche d’une part et des activités plus opérationnelles d’intervention sur le terrain. Elles donneront lieu à la création de plusieurs bureaux (à Tunis et à Dakar en association avec l’ISEA, et un peu plus tard à Alger) qui ne feront pas officiellement partis de l’IES mais qui donneront lieu à des échanges croisés de personnels avec Grenoble. Pour l’essentiel les travaux menés à l’international s’inscrivent dans le cadre d’une démarche de planification.

 

Avant de les décrire, il n’est pas inutile de rappeler même brièvement le contexte particulier de l’époque pour mieux saisir leur importance. Le début de la décennie marque la fin de la période coloniale en Afrique (à l’exception des colonies portugaises), et le début de l’indépendance des anciennes colonies françaises, anglaises et belges. La reconstruction de ces économies constitue un enjeu et un défi majeurs. Elle appelle la recherche de nouveaux modèles de développement et la remise en cause d’un grand nombre de pratiques antérieures. En même temps, de nouvelles formes de résistance et de coopération entre les pays du Tiers Monde émergent pour mieux faire face à la domination et à l’exploitation des pays industrialisés. Elles appellent de nouvelles solidarités entre les pays du Sud, mais aussi entre ceux du Nord et ceux du Sud. Dans ce contexte, en septembre 1961, Tito organise à Belgrade, la première conférence des pays non alignés qui réunit 24 pays non alignés, qui prolonge la conférence afro-asiatique de Bandung en Indonésie de 1956. Quelques années plus tard, au mois de janvier 1966, Fidel Castro réunit à La Havane, la première conférence de «  la tricontinentale ».

 

Le mérite de Gérard de Bernis est d’avoir été un des premiers intellectuels français à s’investir et à s’engager dans la recherche et la mise en œuvre de nouveaux rapports et de nouvelles solidarités avec les pays du Tiers Monde. Son mérite aura été aussi d’impliquer l’Institut sur ce terrain, ce qui, à cette époque, n’était pas du tout courant pour une institution universitaire de recherche.

 

L’inventaire exhaustif des activités menées à l’international par l’IES sous la direction de Gérard de Bernis reste à faire. Parmi les plus importantes, on peut citer :

 

– la création par Gérard de Bernis avec l’accord de François Perroux d’un bureau de l’ISEA (Institut des Sciences Economiques Appliquées) à Tunis à la fin de l’année 1958. Le bureau sera dirigé après 1959 par Pierre Judet. Il accueillera par la suite plusieurs chercheurs de l’IREP dont Amédée Mollard et Claude Courlet. L’équipe assurera de nombreux travaux de recherche et d’études avec le ministère de l’industrie et surtout avec le ministère du plan que dirige à l’époque Ahmed Ben Salah.

 

– la création toujours par Gérard de Bernis d’un bureau de l’ISEA à Dakar au début des années 60 doté d’un fonds Rockfeller, que Pierre Judet sera chargé de fermer en 1967, avant qu’il ne rentre à l’IES en 1968.

 

– l’animation d’une équipe permanente chargée de l’élaboration des perspectives décennales du Niger, dans les années 1965-1966. La fin de cette intervention est significative des pratiques de l’institut à cette époque en matière de coopération. Suite à l’arrestation et à l’exécution publique par le Président de la république Hamani Diori de plusieurs de ses opposants, Gérard de Bernis manifeste activement son désaccord en retirant en l’espace de quinze jours toute l’équipe qu’il animait à Niamey. C’est ainsi que Roland Martin se retrouvera secrétaire général de l’IES en 1967, après avoir été le directeur du plan au Niger.

 

– l’animation d’une équipe chargée en 1966 d’un gros contrat de recherche pour le compte de l’Office de mise en valeur du fleuve Sénégal à la demande des chefs des Etats riverains du fleuve Sénégal (Sénégal, Mali, Guinée et Mauritanie). Le rapport final intitulé « Propositions concernant la coopération pour le développement économique », sera d’une grande importance pour la notoriété de l’IES. Il peut être considéré en effet comme un des premiers documents sur le thème de l’industrialisation de l’agriculture, qui sera à la base du modèle des « industries industrialisantes ».

 

– la création d’un bureau à Alger en 1966, dans le cadre de la réalisation de deux gros contrats de recherche avec la SONATRACH (Société nationale des hydrocarbures), l’un sur l’industrialisation de l’agriculture algérienne, l’autre sur la constitution d’une banque de données sur les hydrocarbures. Ce bureau fonctionnera pendant une dizaine d’années sous la responsabilité de Marc Ollivier assisté de René Arrus (sur le bureau d’Alger, cf le chapitre suivant).

 

Parallèlement à ces différentes interventions en Afrique, il faut mentionner l’ouverture de l’IES au continent sud américain par l’intermédiaire des échanges que Jean-Marie Martin a commencé à développer à cette époque avec plusieurs pays latino-américains. En 1963, sur invitation reçue de Pierre Monbeig, JM Martin séjourne 2 mois au Brésil (juillet-août 1963). En juillet 1964, il participe, à un colloque sur l’énergie en Argentine, à l’université de Cordoba avec F.Perroux (et à sa demande), M. Byé et G de Bernis, à la suite duquel, il accompagne de Bernis au Chili et au Venezuela. Puis il part, comme coopérant pendant un an en Argentine à Cordoba dans le cadre de la Comision Nacional de Energia Atomica. A partir de cette époque, l’Université de Grenoble attire de nombreux étudiants latino-américains, en particulier à l’IEJE, au point que dans certains ministères de l’industrie d’Amérique Latine étaient  fréquemment évoqués les « Grenoble boys » opposés aux « Chicago boys » des ministères des finances (dixit Jean Marie Martin).

 

 

 

3. Fin 1966 : le lancement du Centre Départemental de Documentation du Travail au sein de l’IES

 

  1. Le contexte à l’origine de la création du CDDT

 

La période précédant la création du CDDT est marquée par la montée en puissance du « mythe » grenoblois. Ce « mythe » repose sur plusieurs évènements réels mais souvent amplifiés en particulier par la presse et les observateurs nationaux : i) l’émergence d’une nouvelle classe ouvrière suite à l’affaire Neyrpic ; ii) l’avènement au pouvoir municipal d’une nouvelle classe politique avec l’élection de Dubedout en 1965 ; iii) l’élection de Pierre Mendès France comme député de l’Isère en 1967 ; iv) l’apparition d’une nouvelle gauche avant les élections municipales mobilisant de nouveaux acteurs dont en particulier le GAM ( Groupe d’Action Municipale) ; v) l’expérimentation de nouveaux modes de gestion municipale associant de nombreux corps intermédiaire, dont les unions de quartiers et les organisations syndicales ouvrières.

 

 

Le contexte économique

 

Après le boom industriel des années 1958 à 1962, qui s’accompagne d’une forte poussée démographique (Grenoble passe de 110 000 habitants en 1954 à 160 000 en 1962), l’économie grenobloise rentre dans une phase d’incertitude qui s’accompagne d’une montée des inquiétudes. Sans qu’il y ait un total retournement de tendance, on assiste à partir de 1963 à un fort ralentissement de la croissance dans un contexte national défavorable, avec la mise en place d’un plan de stabilisation très restrictif, et la fin de la période des grands équipements hydro électriques. Le seul élément positif est l’annonce du choix de Grenoble pour les Jeux Olympiques d’hiver de 1968 et les chantiers que cette manifestation impose. En réalité, les JO ne font que retarder les échéances. Le réveil sera d’autant plus brutal. Toutes les prévisions de l’époque sont pessimistes.

 

Dans le même temps, le processus de restructuration en profondeur du système productif local qui avait débuté au début des années 60 (Cf le contexte à l’origine du conflit Neyrpic) s’amplifie. Les différentes opérations de concentration se traduisent par autant de vagues de licenciements

 

L’existence d’un puissant mouvement ouvrier unitaire

 

A Grenoble, à la suite du conflit Neyrpic, un mouvement unitaire se développe qui a plusieurs facettes : i) une unité interyndicale, ii) une unité entre ouvriers techniciens et cadres ingénieurs, iii) une unité entre la population et les organisations syndicales, iv) une unité entre les syndicats et l’université.

 

Après 1964 et jusqu’à la veille du lancement du CDDT, plusieurs évènements consolident et renforcent ce courant unitaire :

 

– Aux élections cantonales à Grenoble de 1964, on assiste à une initiative incroyable : Jean Giard le candidat du parti communiste est placé en tête de la gauche au premier tour, mais il se désiste au second tour pour le candidat socialiste qui semblait mieux placé pour battre le candidat de la droite au second tour. Ce dernier, le docteur Michallon maire de Grenoble sera effectivement battu par le candidat de la SFIO. Ce désistement de Jean Giard lui sera très longtemps reproché par les dirigeants nationaux du parti.

 

– Le « colloque socialiste de Grenoble » en 1965 est l’occasion d’une recomposition de la gauche non communiste comprenant le PSU, le GAM et le Parti Socialiste. Les participants prennent une position commune d’appel à la candidature de Mendès France aux prochaines élections législatives

 

– Le 21 septembre 1965, le PCF soutient dès le premier tour la candidature de Mitterrand aux élections présidentielles

 

– Aux élections municipales de 1965, la gauche non communiste se présente unie, Dubedout est élu maire de Grenoble (cf ci après).

 

– Le 10 janvier 1966, la CGT et la CFDT signent un accord national unitaire qui est repris au niveau des Unions Départementales des deux syndicats

 

 

 

L’élection de Dubedout à la mairie de Grenoble

 

L’année 1965 sera une année particulièrement importante de la vie politique grenobloise en raison d’un évènement majeur : la victoire de la liste Dubedout aux élections municipales de Grenoble de mars 1965, où Dubedout s’est présenté à la tête d’une liste composée de militants de la SFIO, du PSU et du GAM (sans le PCF).

 

Dubedout est élu en mars 1965 maire de Grenoble et sera réélu aux élections municipales de 1971 et à celles de 1977[4].

 

 

La conquête de Grenoble par Dubedout

 

L’histoire de Dubedout à Grenoble commence par une histoire d’eau et de robinet. Au début des années 60, la croissance urbaine de Grenoble est telle qu’elle aboutit à une alimentation en eau de la ville qui est désastreuse. Dubedout raconte qu’à l’époque, sa femme était obligée de se lever tous les jours à 5 heures du matin pour faire la provision d’eau dans sa baignoire. Très mécontent, il entreprend en février 64 des démarches auprès des services municipaux chargés de la gestion de ces problèmes. Rapidement, elles échouent. Il décide alors de lancer une campagne collective à partir de la formation d’un syndicat des usagers de l’eau. En quelques mois, il réussit à se faire entendre par les autorités municipales, qui finiront par prendre les mesures adéquates pour que l’eau puissent arriver enfin aux robinets des grenoblois. Cette campagne qu’il a mené sans le soutien des dirigeants des partis politiques traditionnels, marque l’entrée de Dubedout dans la vie politique grenobloise. Il acquiert à cette occasion une image d’efficacité qui ne le quittera plus.

 

 

regroupe des hommes politiques de gauche qui ne se reconnaissent pas dans les partis politiques traditionnels et qui sont fermement opposés au pouvoir des notables locaux. Ils ont en commun le goût du concret. Dans leur diversité socio professionnelle, ils sont représentatifs des couches sociales montantes de l’époque (techniciens, syndicalistes, universitaires, ingénieurs, responsables du milieu associatif…) qui se sont engagées à la suite du conflit Neyrpic. Ces militants de la « nouvelle gauche » unissent dans une même contestation, celle d’une part des modes de gestion des entreprises par le capitalisme, celle d’autre part des modes de gestion de la ville par les notables locaux et les autorités politiques locales

 

 

 

Le colloque sur l’emploi de juin 1965

 

Ce colloque est organisé les 12 et 13 juin 1965 par le « Comité de l’emploi et des libertés syndicales » qui a été crée à l’occasion du conflit Neyrpic (cf ci dessus). Il a pour objectifs, d’« examiner la situation de l’emploi à Grenoble qui ne cesse de se détériorer, de comprendre les raisons de cette situation et de dégager les voies d’une action efficace ».

 

Pour la préparation des rapports que les organisations syndicales présentent au colloque, les militants se heurtent à une difficulté majeure, qui tient à la rareté des informations dont ils disposent. Une question centrale se pose qui concerne leurs conditions d’accès aux informations économiques et sociales pour qu’ils puissent débattre sur un pied d’égalité avec les autres acteurs. Cette exigence de pouvoir s’appuyer sur des données fiables et pertinentes est actée dans la résolution adoptée à l’unanimité par les participants au colloque sur l’emploi : « le colloque propose la création d’un centre de documentation économique et sociale à la disposition de toutes les organisations syndicales et démocratiques, en liaison avec l’université ». Il s’agit de renforcer la capacité des organisations syndicales, pour leur permettre d’intervenir efficacement en matière de développement local, en mettant à leur disposition un outil de documentation et d’études.

, responsable

 

Dubedout nouvellement élu maire de Grenoble donne son accord pour financer un tel centre qui deviendra le CDDT (Centre départemental de documentation du travail). Le CDDT sera créé en 1965, à la suite d’une enquête préalable réalisée par M.Hollard et Christine, après l’élection de la première municipalité Dubedout, sur le « trépied grenoblois » qui, à l’époque, était constitué de la métallurgie, de la chimie et de l’atome.

 

 

  1. Les activités du CDDT (Centre Départemental de Documentation du Travail)

 

A la demande des organisations syndicales le CDDT est rattaché à l’IES par l’intermédiaire de l’institut du travail. Ses locaux sont situés dans le bâtiment qui abrite l’IES, rue général Marchand. Son fonctionnement est assuré par un bureau composé des représentants des organisations membres, qui marque le fonctionnement très unitaire entre les organisations syndicales et politiques de gauche. [5]

 

Les membres du bureau du CDDT en 1967-1968

 

Pierre Lami, Secrétaire général de l’UD CGT est le Président du bureau. Le Vice Président du bureau est Pierre Potet, qui est le représentant de l’UD Force ouvrière, alors que François Pavinet représentant de l’UD CFDT en est le Secrétaire. Les autres membres du bureau sont : M. Rafal (FEN), J. Giard (PCF), G. Boulloud (PSU), M. Breyton (SFIO), A. Maurin (Ville de Grenoble), le Professeur Ollier (Faculté de Droit).

 

Trois personnalités sont membres du bureau avec voix consultative : Pierre Barriol, Directeur de la Maison de la Promotion Sociale, Georges Videcoq, représentant de l’Agence d’Urbanisme, Gérard de Bernis, Directeur de l’Institut du Travail

 

 

Les activités du CDDT sont de trois types : i) la collecte et le classement de l’information, ii) la diffusion d’un bulletin trimestriel, iii) la réalisation d’études.

 

La collecte des informations

 

L’objectif central du CDDT est de collecter et de rassembler dans un même lieu, au sein de l’université, les informations disponibles sur les problèmes économiques et du travail dans le département de l’Isère pour les mettre à la disposition des militants des organisations politiques et syndicales membres : les organisations politiques de gauche, les organisations syndicales ouvrières et les représentants des collectivités locales. C’est à la fois un observatoire local de l’emploi et un centre de ressources en matière d’informations pour le renforcement de ces organisations. A ce titre, il est une forme de promotion collective complémentaire aux actions de formation des militants qu’organise l’institut du travail.

 

Pour la collecte des informations trois sources sont principales : i) le dépouillement de la presse nationale et locale, ii) la collecte de tracts syndicaux tirés par les trois UD à la bourse du travail (avant que la bourse du travail déménage à « Grand place », on a mis au pied de chaque ronéo, un carton où sont déposés un exemplaire des tracts qui sont tirés et que l’on récupère à dates régulières), iii) un réseau d’une centaine de correspondants dans le département, militants des organisations membres du CDDT.

 

La diffusion d’un bulletin trimestriel

 

Chaque trimestre, un bulletin est rédigé qui reprend les principales informations collectées. Il est alimenté par ailleurs par les résultats d’une enquête trimestrielle par voie postale auprès des membres du réseau des correspondants. Le bulletin comporte un certain nombre de rubriques dont en particulier : accidents du travail, concentration, conflits sociaux, emploi, salaires et accords, travailleurs étrangers.

 

Le contenu de chaque bulletin est validé par un comité de lecture auquel participent les membres du bureau. Cette réunion trimestrielle est un temps fort de concertation, de dialogue et de confrontation entre les organisations membres, surtout quand il faut rendre compte d’un conflit où les syndicats à la base ne sont pas d’accords entre eux.

 

 

La réalisation d’études

 

Au cours de cette période de lancement du CDDT et avant les événements de mai 68, deux études sont réalisées à la demande du bureau : l’une sur les prévisions de l’emploi dans le bâtiment et les travaux publics dans le groupement d’urbanisme de Grenoble, l’autre sur la situation des travailleurs émigrés dans l’Isère.

 

Dans le cas de la première étude, il s’agissait de prévoir les emplois qui devaient être supprimés dans le secteur du BTP à la fin des Jeux Olympiques de Grenoble de 1968. Elle reposait sur une enquête directe sur les différents chantiers des JO, et sur les perspectives de construction de logements et d’équipements après les jeux. Elle était la première étude qui associait à toutes les étapes de sa réalisation, une équipe d’universitaires et des représentants du mouvement syndical et politique. Dans son livre sur « Grenoble ville test » (Ed du Seuil, 1968) Dominique Dubreuil relève l’originalité de l’étude : « il a fallu attendre cet automne (1967) pour voir paraître une étude qui, tout ensemble, fasse état d’une méthode précise et tienne également compte de l’emploi dans une perspective favorable aux travailleurs. Elle est publiée par le CDDT dans lequel fusionnent les équipes d’universitaires et les syndicalistes » (page 47).

 

La seconde étude, est dans le prolongement direct de la précédente. Elle donnera lieu à un rapport publié en janvier 1968, « l’emploi des travailleurs étrangers dans le département de l’Isère ». En réalité il s’agit plus d’un dossier à partir du traitement et de l’analyse des données disponibles, que d’une étude.

 

4. L’IES dans la tourmente des évènements de mai 1968

 

  1. La genèse des évènements de 1968

 

« La France s’ennuie » est le titre d’un éditorial désormais célèbre du journal « Le Monde » du début de l’année 1968. Dans l’Isère, Jean Bron, historien du mouvement syndical, signale qu’au début de 1968 « on se plaint de l’apathie des camarades » (Histoire ouvrière de la CFDT dans l’Isère, page 115). La réalité est beaucoup plus complexe.

 

A priori à Grenoble, le climat politique est favorable. A la suite de la « rencontre socialiste » de Grenoble qui a lieu du 30 avril au 1er juin 1966, le PSU et le « GAM » qui sont deux forces politiques de la nouvelle gauche très implantées à Grenoble, rentrent dans un parti socialiste recomposé. L’élection de Mendès-France comme député de Grenoble en 1967, constitue un autre temps fort de la vie politique locale. Il bénéficie d’un très large soutien de la population grenobloise et de personnalités nationales dont Jacques Brel qui viendra même chanter à Grenoble pour soutenir cette candidature, alors que la campagne électorale sera très dure. Elle atteindra son apogée, le 27 février 1967, lors d’un grand meeting qui a lieu à la patinoire de Grenoble et qui oppose Mendes-France au premier ministre Pompidou venu soutenir le candidat gaulliste. Lacouture dans la biographie qu’il a consacré à Pierre Mendés France aux éditions du Seuil en 1981 décrit parfaitement à la page 468 le climat de la soirée: « Ce fut une sacrée soirée. On vit d’abord s’avancer en rangs serrés une cinquantaine de costauds qui prirent place au premier rang : les barbouzes du SAC (Service d’Action Civique). Plusieurs fois dans la soirée, on les verra intervenir brutalement salués de « barbouzes, assassins ». Quand Mendès France escalada la tribune, le vacarme reprit si fort qu’on ne l’entendit pas de trois ou quatre minutes. Au pied de l’estrade, « les barbouzes »  s’étaient transformés en aboyeurs, et les quelques mots que l’on percevait entre deux onomatopées relevaient parfois de l’injure raciste ». Cette mémorable soirée sera marquée par une violence haineuse des supporteurs du candidat gaulliste. Une semaine plus tard, ce dernier, député sortant était mis en ballotage. Le 12 mars 1967, Mendès France devint député de l’Isère. Ce fut une grande fête bien avant celle que nous allions vivre avec l’élection présidentielle de Mitterrand en mai 1981.

 

A l’inverse d’autres foyers de tension se renforcent, tant au plan syndical que politique. L’accord national intersyndical entre la CGT et la CFDT se traduit par la création d’un front syndical plus uni. Relativement limité dans son contenu, il a un effet mobilisateur très important, au moment où se développent les luttes contre les ordonnances de 1967 sur la réforme de la sécurité sociale, et où éclatent pendant toute l’année 67 plusieurs conflits sociaux très durs (l’occupation de l’usine Rhodiaceta à Besançon en février 1967, le conflit aux chantiers navals de Saint Nazaire début mars 1967 qui entraîne une grève générale dans toute la région, l’occupation des usines Berliet à Lyon à la même époque, le conflit des OS à l’usine Saviem à Caen au début de 1968 où les bagarres contre les forces de l’ordre feront 18 bléssés…).

 

Surtout, on assiste, à Grenoble comme en France, dans la seconde moitié des années 60, à l’émergence d’une extrême gauche très active, sous la forme en particulier de la mise en place de « cellules marxistes léninistes ». Deux évènements majeurs vont grandement favoriser un tel processus. C’est d’une part à partir du début de 1965 le développement de luttes en France et dans le monde contre l’intensification de la guerre des américains au Vietnam, quand les américains commencent à bombarder le Nord Vietnam et installent 500 000 marines au Sud Vietnam. C’est d’autre part, la rupture sino-soviétique qui a lieu au début de 1964, et surtout le lancement de la révolution culturelle en Chine, Mao Tse Toung devenant le leader révolutionnaire incontesté. Pierre Boisgontier, qui est à l’équipe agricole de l’IES devient à cette époque un des leaders au plan local de cette mouvance d’extrême gauche (cf ci dessus).

 

 

  1. Les évènements de 1968 à Grenoble

 

A Grenoble, les manifestations étudiantes furent dans le prolongement des manifestations parisiennes, en signe de solidarité avec les étudiants parisiens, contre la répression policière dont ils étaient les victimes. Leur dynamique s’inscrit dans un enchaînement de trois phases successives : provocation, répression policière, solidarité des lycéens, des étudiants de province et des travailleurs. A Grenoble, on suit en direct par l’intermédiaire des radios (Radio Luxembourg, Europe 1) les émeutes parisiennes. Les radios sont une terrible caisse de résonance. C’est dans ce contexte, que très rapidement, les étudiants de province, en particulier à Grenoble, deviennent solidaires des étudiants parisiens.

 

Pendant le mois de mai 68, il y eu presque tous les jours des manifestations d’étudiants à Grenoble selon des modalités particulières. Quatre furent particulièrement importantes :

 

  1. i) la première a lieu le 4 mai au lendemain de l’occupation de la Sorbonne, pour dénoncer cette provocation des forces de l’ordre,
  2. ii) la seconde a lieu le 10 mai qui se heurte au barrage des forces de l’ordre place de Verdun pour empêcher l’accès à la préfecture,

iii) la troisième, le lundi 13 mai, fut la plus importante à l’appel des organisations syndicales et étudiantes. Elle part à 10 heures de la place Saint Bruno. Elle durera trois heures et donnera lieu à une participation d’une ampleur inattendue. En fin de manifestation, une délégation sera reçue à la préfecture. Il faudra attendre la manifestation à la veille du second tour des élections présidentielles de 2002 pour voir défiler autant de monde dans les rues de Grenoble,

  1. iv) la dernière grande manifestation a lieu le 24 mai, le lendemain d’une manifestation de l’UNEF à Paris qui a été violemment réprimée.

 

A Grenoble comme dans toutes les villes de France, le mouvement de contestation s’amplifie et se radicalise après l’appel à la grève générale du 13 mai. Les ouvriers rejoignent en masse les étudiants. Dés le lendemain, des ouvriers ne reprennent pas le travail. Des grèves spontanées éclatent à la Rhodiaceta à Roussillon, au centre de tri postal de Grenoble, au CENG. Les jours suivants, les grèves se généralisent, des usines sont fermées, d’autres (Neyrpic, Merlin Gerin, SESCOSEM, Ugine Khulman…) sont occupées. De nouvelles formes de lutte et de pratiques syndicales se développent. Dans plusieurs entreprises sont mises en place des commissions pour débattre de problèmes spécifiques, des réunions d’information sont organisées ainsi que des activités culturelles dans certains cas.

 

 

 

 

  1. La mobilisation de l’IES pendant les évènements de 1968.

 

A l’époque l’IES est quasiment en « autogestion », un collectif de « soixante-huitards » avant l’heure. Par les activités professionnelles qu’elle développe, l’institution est très proche du mouvement ouvrier. Elle est à l’interface, entre d’une part le mouvement étudiant et le mouvement syndical, et entre d’autre part les syndicats ouvriers et les syndicats agricoles. Il est normal dans ces conditions que, dès le départ les personnels de l’institut se sentent très concernés par les évènements « du joli mois de mai ».

 

La mobilisation de l’institut sera maximale après le 13 mai, en relation avec les luttes ouvrières dans les entreprises. Pendant tout le mois de mai, l’institut fonctionne en assemblée générale de manière quasiment permanente, pour discuter des modalités de soutien et de participation au mouvement de contestation de la société. Parmi les initiatives qui sont discutées, une est particulièrement intéressante. Elle vise à rapprocher les militants agricoles et les militants ouvriers pour l’organisation de circuits directs d’approvisionnement en viande et en produits agricoles des cantines des usines occupées. Cette idée ne sera jamais suivie d’effets.

 

Dans le même temps, une activité contractuelle continue de manière quasi « clandestine ». L’institut est engagé dans un gros contrat de recherche avec la Tunisie sur les « Perspectives pour 1975 et 1980 des débouchés extérieurs des produits agricoles tunisiens ». L’exécution du contrat a pris du retard. Il est impératif de respecter les délais pour pouvoir être payé et verser les salaires des chercheurs. La rédaction des 5 volumes de l’étude sera achevée à Grenoble par une équipe animée par Pierre Judet et Yves Barel, pendant les évènements de mai 1968, entre les assemblées générales de l’institut au cours desquelles on débattait du bien fondé et du soutien à apporter à la grève générale des travailleurs !

 

 

 

 

 

  1. La fin du rêve de 68

 

Quelques jours après la grève générale et les conflits sociaux qui suivent, les négociations sont ouvertes entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Elles s’achèvent par la signature le 27 mai des accords de Grenelle. Ces accords prévoient une augmentation de salaire de 35% du SMIG (il passe de 2,22 francs à 3 francs) et de 10% en moyenne des salaires réels, ainsi qu’une réduction de la durée hebdomadaire du travail qui passe de 45 heures à 40 heures par semaine. C’est surtout dans le domaine du droit syndical que les acquis sont les plus importants. En particulier, la section syndicale est reconnue. (Cette reconnaissance avait fait l’objet d’un colloque national organisé par Gérard de Bernis à Grenoble au cours du conflit de Neyrpic, cf ci-avant).

 

Le lendemain des accords, le quotidien l’Humanité présente ces résultats sous le titre : « Du jamais vu ». Les syndicats à la base ont eux une position très mitigée face à ces accords. Mais faute d’alternatives politiques claires et acceptées, la reprise du travail n’est pas immédiate. Elle ne sera que très progressive. De retour d’Allemagne, le général de Gaulle, dissout l’Assemblée Nationale le 30 mai. De nouvelles élections législatives ont lieu les 23 et 30 juin. Au plan national, la droite obtient la majorité absolue. Elle l’emporte avec 358 sièges sur 485. Les gaullistes gagnent 97 sièges… la fédération de la gauche en perd 61 et les communistes 39.

 

A Grenoble, la droite présente cette fois un candidat beaucoup plus redoutable que celui que Mendès a battu un an plus tôt : Jean Marcel Jeanneney qui avait été professeur à la Faculté de Droit de Grenoble et ancien ministre des Affaires Sociales du Général de Gaulle. Comme l’année précédente, un meeting est organisé dans l’enceinte de la patinoire avec la participation de Georges Pompidou, premier ministre venu soutenir Jeanneney. Relatant les conditions de ce meeting, Jean Lacouture dans sa biographie sur «  Pierre Mendès France » considère que « Le ton vis à vis de Pompidou fut d’une telle véhémence de la part des étudiants gauchistes qu’il coûta à coup sûr des voix à Mendés : les voix de la peur » p. 491. Mendès France sera battu au soir du 30 juin. Au second tour, il lui manquera 132 voix. Cet échec et cette «inconduite de Grenoble » pour reprendre l’expression de Lacouture, marquera la fin de la carrière politique de Mendès France…. et la fin du rêve de 1968.

 

Le soir de la défaite du second tour, je prends le train pour Paris, première étape de mon départ en Algérie comme coopérant militaire ou plus exactement VSNA (volontaire du service national actif) après un stage de quelques jours à Paris.

 

 

 

Chapitre 2

La période de l’IREP : d’octobre 1970 à décembre 1975

De mon retour d’Algérie à mon départ à Madagascar

 

 

A mon retour d’Algérie, je reprends la direction du Centre Départemental de Documentation du Travail, mais très rapidement, je suis chargé d’une autre mission, toujours dans le domaine de la promotion collective, rattachée à la Vice-présidence de l’université chargée de la formation continue. Je suis chargé d’une mission d’appui aux organisations syndicales pour la mise en œuvre de nouveaux droits en matière de formation permanente des salariés.

 

 

 

I. La naissance de l’IREP (Institut de recherche économique et de planification)

 

 

Début 69, l’IES (Institut d’Etudes Sociales) est devenu l’IREP (Institut de Recherche Economique et de Planification). Le changement de sigle n’est pas une décision formelle. Il est significatif de la transformation de la nature de l’Institut. On passe d’un Institut d’Etudes Sociales à un institut de recherche en économie, dont l’IES n’est plus qu’une composante. On ajoute en plus un P pour la planification, en référence aux activités que l’on mène dans ce domaine tant en France qu’à l’étranger, en Algérie en particulier. Après le départ de Gérard de Bernis, les choses ne seront plus les mêmes. On rentre dans une période qui durera une dizaine d’années marquée par de fortes et fréquentes turbulences.

 

1. Le contexte au début des années 70

 

11 Le nouvel environnement institutionnel : la création de l’Université des sciences sociales de Grenoble.

 

Au lendemain des évènements de 1968, une nouvelle loi est adoptée au mois de novembre 1968, qui va réformer en profondeur les universités françaises : la loi d’orientation de l’enseignement supérieure, dite loi Edgar Faure du nom de son initiateur. Elle marque l’acte de naissance de l’université actuelle qui devient un établissement public à caractère scientifique et culturel.

 

L’IREP est une UER rattachée à l’Université des sciences sociales. Jean Louis Quermonne (directeur de l’Institut d’Etudes Politiques) en est le premier Président élu[6]. Il fait partie des premiers universitaires grenoblois, avec Gérard de Bernis (cf le chapitre précédent) qui se sont impliqués dans des initiatives associant les élus et les responsables syndicaux et politiques de la cité. C’est ainsi qu’à partir de 1963, il préside la commission des équipements urbains chargée localement de la préparation du Vème plan (où il fera la connaissance de Hubert Dubedout). Le nouveau Président s’entoure d’une équipe d’universitaires exemplaires, dont en particulier : le « capitaine Grattard » et Jacques Freyssinet. Le premier est responsable des relations extérieures de l’université. C’est un ancien militaire très courageux. Militant des « amis de Témoignage Chrétien », il fera partie des officiers (dont le général de Bollardière) qui dénonceront la manière dont se comporte l’armée française en Algérie en général et le recours systématique à la torture en particulier. Jacques Freyssinet est un ancien Président de l’UNEF. Professeur d’économie, il est en même temps : Vice Président chargé de la formation permanente auprès du Président de l’université et responsable scientifique du « groupe travail » au sein de l’IREP.

 

12 Le nouveau décor : le déménagement sur le domaine universitaire.

 

Dès sa création, la nouvelle université s’installe sur le campus universitaire qui vient de sortir de terre. La première pierre du campus fut posée le 2 décembre 1961. Le premier bâtiment en service, celui de l’Institut de Mathématiques Appliquées, le sera en 1962. Ce sera ensuite le cas de la Faculté des lettres qui organise des cours dans des bâtiments provisoires dès 1963. L’Université des sciences sociales s’implante plus tardivement sur le campus.

 

Cette délocalisation des universités à la périphérie de Grenoble présente de nombreux avantages compte tenu en particulier des espaces disponibles. Elle marque cependant la fin du centre historique du militantisme étudiant, localisé rue de la Poste avec l’AGEG (Association Générale des Etudiants de Grenoble) et son resto-U (restaurant universitaire) d’un côté et le CCU (Centre Chrétien Universitaire) sur le trottoir d’en face. A partir de moment là, il n’y aura plus d’espace centralisé du militantisme syndical étudiant. Le CCU est obligé de s’installer en bordure du domaine universitaire, dans un quartier de Saint Martin d’Hères d’accès difficile.

 

En 1970, l’ancienne Faculté de droit et d’économie a quitté son bâtiment de la place de Verdun, pour aller sur le campus, en même temps qu’une partie des bureaux de l’IREP. Sur le campus, l’IEJE occupe le 5ème étage du bâtiment central. La plus grande partie des locaux de l’IREP restent encore rue Général Marchand, mais pas pour longtemps. Le déménagement définitif sur le campus aura lieu pendant l’été 1972. Après 1972, l’IREP occupera les deux derniers étages de la barre de cinq étages (d’où le nom de R+5) qui fait face à la résidence Condillac.

 

Ce changement de localisation des bureaux, entraîne un changement significatif des conditions de travail des personnels. En matière de stationnement de nos véhicules, les progrès sont indiscutables. Finis les entassements dans la cour du bâtiment rue Général Marchand (cf le chapitre précédent). On bénéficie d‘un cadre de verdure particulièrement agréable. Le dimanche, c’est même un lieu de promenade « bucolique » pour les familles de l’agglomération.

 

S’agissant des locaux de l’institut, la situation est tout autre. Rue général Marchand, les bureaux bénéficiaient de grandes baies vitrées, des hauts plafonds, avec des parquets au sol. Par contre le R+5 sur le campus  est assez sordide, le bâtiment n’étant pas un exemple de pari architectural réussi. Alors que la mode de l’époque est aux bureaux paysage, l’institut occupe deux étages où les bureaux sont répartis de part et d’autre d’un couloir central. Jan Dessau a son bureau à l’extrémité du couloir du 4ème étage, avec à sa droite le bureau de Roland Martin, secrétaire général de l’IREP, et à sa gauche la fameuse salle 400 qui sera le lieu d’une multitude de réunions. La porte de Jan Dessau est toujours ouverte. Il a ainsi en enfilade 39 portes de bureaux, plus deux entrée-sortie d’ascenseur, qui donnent sur un couloir d’un peu plus de 75 mètres de long. L’installation sur le campus se traduira enfin par l’abandon des espaces antérieurs de convivialité, autour « des pots » pris entre chercheurs au bar de l’université et/ou chez Dunand entre les Halles et la rue Voltaire (cf. ci-avant). Les premiers temps les retrouvailles ont lieu en milieu d’après midi à la cafétéria de la résidence Condillac, puis plus tard à la « cafet » du 5 ème étage. Ce ne sera jamais pareil.

 

2. La fin de l’IES

Il faut espérer que quelqu’un jour  écrive dans le détail, l’histoire de l’IREP et ses modes de fonctionnement. Il faudra qu’il ait recours aux outils d’analyse de la sociologie et de l’ethnologie pour caractériser de manière rigoureuse la nature de cet institut qui change de nom à la fin de la décennie 60. S’agit il d’une coopérative ? d’une forme d’autogestion ? d’une tribu ? d’un clan ?… d’une chapelle ?

 

Une chose est sûre : l’IREP est un collectif de chercheurs qui partagent de nombreuses solidarités autour de valeurs et projets communs. Mais au delà des apparences, la réalité est plus compliquée. Les conditions de la démission de Gérard de Bernis en témoignent.

 

  1. La démission de Gérard de Bernis : la fin de l’IES

 

Gérard de Bernis démissionne à l’issue d’une assemblée générale de l’institut qui a lieu le 31 janvier 1969. Cette décision est le résultat d’un long cheminement qui s’accélère après la fin des évènements de 1968.

 

En 1967, un événement se produit qui aura de multiples conséquences pour la suite. Gérard de Bernis appelle à voter aux élections législatives pour Jean Giard qui est le candidat du Parti Communiste Français, contre Mendès-France[7]. Il rompt ainsi un consensus implicite sur « la neutralité » de l’institut et le refus de s’engager sur des positions qui ne sont pas unitaires et/ou intersyndicales. Il s’en suit une assemblée générale houleuse au cours de laquelle Yves le Balle donne sa démission de l’IES. Ceux qui refusent les pratiques et le double discours de Gérard de Bernis renforcent ainsi le groupe des chercheurs d’extrême gauche de l’IES qui sont déjà rentrés en rébellion avec Gérard de Bernis. Cette démission de Yves le Balle ne sera certainement pas sans conséquence sur l’état des relations entre l’IES et l’union départementale CFDT, Yves le Balle étant un des responsables très influent du SGEN.

 

Le contexte de mai 1968 a accru les tensions entre nous. Après les évènements de 1968 plusieurs fissures apparaissent dans le fonctionnement du collectif des chercheurs. Elles annoncent de futures ruptures par rapport à tout ce qui avait contribué à la fondation du noyau historique. Elles tiennent en particulier au développement de nouvelles pratiques de recrutement. Ainsi, à partir de 1967, on assiste à une croissance forte des effectifs de l’institut. D’une vingtaine en 1965, les effectifs passent à 24 en 1966, à 29 en 1967, à 41 en 1968 et 60 en 1969 dont 45 chercheurs, soit près d’un triplement entre 1965 et 1969. Ces recrutements renforcent les contraintes financières dans la mesure où les salaires des chercheurs qui sont très majoritairement hors statut, sont payés essentiellement sur des ressources contractuelles. Surtout, les recrutements sont de plus en plus hétérogènes et de moins en moins régulés au niveau central, avec une augmentation sensible du poids des chercheurs qui s’inscrivent dans la mouvance de l’extrême gauche. Les règles du jeu que nous avions adoptées devenaient ainsi de plus en plus difficiles à appliquer du fait de la diversité croissante de nos profils.

 

 

 

Le diagnostic de J. Dessous sur les difficultés de l’IES avant la naissance de l’IREP

 

Les premières contradictions internes apparaissent e:n résultat direct du développement rapide de l’institut, qui en 1968 compte une quarantaine de chercheurs. De ce fait, le recrutement devient plus varié et l’homogénéité des idéologies, des conceptualisations, de la méthodologie, ne peut êtré préservée. Une partie des nouveaux arrivants conteste certaines décisions, forme une minorité agissante dans l’assemblée générale, met en cause la forme d’organisation de l’institut ainsi que les concepts et l’idéologue qui lui sont sous-jacents. L’assemblée générale devient progressivement le lieu où s’expriment les conflits et contradictions internes, et la prise des décisions se fait en réalité ailleurs. De plus la croissance de l’institut alourdit les tâches administratives, qui dépassent bientôt les capacités de l’appareil de direction.

 

Les tensions internes éclatent en mai-juin 1968, période durant laquelle se révèlent les divergences politiques ainsi que les liaisons entre les positions idéologiques et la pratique de la recherche. Le choix des thèmes, l’élaboration des hypothèses, la liaison avec la pratique, la gestion, l’organisation interne de l’institut, sont en particulier l’objet de nombreuses discussions. Ces divergences conduisent en fin 1968 et début 1969 à un changement d’organisation de l’institut.

 

  1. Dessau : « Centralisation ou décentralisation des centres de recherche :une expérience de dix années » (avril 1975)

 

 

Dans ces conditions, Gérard de Bernis contrôle de moins en moins le collectif qu’il a crée et qui était au départ un peu « sa chapelle ». Il accepte mal ces distanciations par rapport aux « règles d’allégeances » antérieures. Un peu comme si les enfants avaient tué leur père. En janvier 1969, de Bernis diffuse à l’ensemble des personnels de l’institut une « Note d’information » dans laquelle il annonce sa prochaine démission suite à une série d’assemblées générales difficiles en 1968  et écrit : « J’ai décidé de ne pas me représenter à l’élection de Directeur »…: « il y a désaccord entre nous et je ne crois pas que la lutte des classes se déroule entre nous »,  ou encore «  je veux cesser d’être votre « représentant de commerce« . Dans cette même note, il se félicitait de pouvoir enfin rattraper 4 années de retard intellectuel accumulées, d’augmenter enfin le temps consacré à ses étudiants et évoquait discrètement « les conséquences familiales de la vie qu’il mène ».. mais il précisait au final, qu’« il souhaitait de poursuivre ses recherches avec nous, ce qu’il fera en s’y investissant encore beaucoup »[8]

 

Sa démission de la direction de l’IES sera effective en janvier 1969.

 

 

  1. L’élection de Jan Dessau : l’acte de naissance de l’IREP

 

De 1960 à 1967, Jan Dessau seconde François Perroux à la direction de l’ISEA (Institut des Sciences Economiques Appliqués) à Paris. Il est très proche de Gérard de Bernis qui est l’élève fidèle parmi les fidèles de François Perroux et qui l’appelle pour venir l’assister à la direction de l’IES. Jan Dessau arrive à Grenoble au printemps 1967, avec sa femme Jeanine.

 

Avant d’arriver à l’IES, Jan Dessau a eu un itinéraire remarquable que l’on peut au moins partiellement reconstruire à partir de deux documents : d’une part le livre publié avec le concours de l’association des amis de Jan Dessau et intitulé « Jan Dessau : textes » (Ed L’Equinoxe, 1983), d’autre part le livre de Jorge Seamprun qui sera le ministre de la culture du premier gouvernement socialiste espagnol de 1988 à 1991 : « L’écriture ou la vie » (Gallimard, 1994) où il raconte ses souvenirs de déportation et de retour du camp de Buchenwald.

 

Jorge Seamprun consacre quatre très belles pages (pp 146-149) à ses deux rencontres avec Jan Dessau. La première a lieu à Paris, à l’occasion d’une fête d’adieu à laquelle il participe avec Jan Dessau et ses amis « Tous brillants normaliens, étudiants à Sciences Politiques : les premiers de la classe. Il s’agissait d’un adieu à l’adolescence. Nous abandonnions nos études, partions dans les maquis, dans l’action clandestine ». En septembre 1942, Jan Dessau part effectivement au maquis après un passage à l’école des cadres du Mouvement Uni de la Résistance en Savoie. Il est arrêté en septembre 1943 dans le Périgord, puis envoyé au camp de concentration de Buchenwald. Fin 1944, Seamprun le croise devant le block 34 de Buchenwald. « J’ai eu du mal à le reconnaître écrit Semprun. Lui aussi, d’ailleurs : ombres de nous mêmes sans doute, tous les deux, difficiles à identifier d’après le souvenir que nous gardions l’un de l’autre ». Seamprun raconte ensuite dans son livre avec beaucoup d’émotion une nuit qu’il passe chez Pierre Aimé Touchard du groupe « Esprit », où il rencontre Jeanine, la fiancée de Jan Dessau qui deviendra sa femme.

 

Seamprun est rentré du camp de concentration, mais pas Jan Dessau. Avant la libération du camp de Buchenwald par les américains, il a été déplacé au camp de Neuengammen [9]. Chez P-A Touchard, Jeanine s’est laissée tomber à genoux sur le tapis. Elle pleure. Alors écrit Semprun : « J’ai parlé pour la première et la dernière fois, du moins pour ce qui est des seize années suivantes. Du moins avec une telle précision dans le détail. J’ai parlé jusqu’à l’aube, jusqu’à ce que ma voix devienne rauque et se brise, jusqu’à en perdre la voix. J’ai raconté le désespoir dans ses grandes lignes, la mort dans son moindre détour… Yan Dessau est finalement revenu de Neuengammen. Sans doute faut-il parler au nom des naufragés. Parler en leur nom, dans leur silence, pour leur rendre la parole ».

 

En 1947, Jan Dessau rentre à l’ISEA (Institut des Sciences Economiques Appliquées). Puis il est Directeur du service économique de la FSM (fédération syndicale mondiale). Il participe à de très nombreuses rencontres internationales où il représente la FSM. A ce titre il est invité à d’aussi nombreuses réceptions. On est en pleine guerre froide. Dans ces réceptions, il est considéré comme le représentant du « monde communiste ». A ce titre, tout le monde le fuit. En 1957, il est secrétaire général de la revue proche du parti communiste « Economie et Politique ». De 1960 à 1967 il retourne à l’ISEA avant de répondre à la sollicitation de Gérard de Bernis, pour le seconder à la direction de l’IES à Grenoble.

 

Jan Dessau est resté un contestataire, un résistant. Il écoute beaucoup et fait preuve d’une grande tolérance. Il est reconnu par toutes les tendances qui traversent les groupes de l’IES, et en particulier par ceux du courant de l’extrême gauche. Il est le seul à pouvoir reconstruire sur d’autres bases, une unité au sein de l’IES (au moins provisoirement). Début 1969, il est élu directeur de l’IES qui devient de suite après son élection l’IREP.

 

 

 

3. L’IREP (Institut de Recherche Economique et de Planification) : caractéristiques et évolution dans la décennie 70.

 

L’histoire de l’institut, de l’IES à l’IREPD n’a jamais suivi une trajectoire rectiligne. En permanence, la vie de l’institut s’est organisée autour d’un processus d’alternance et d’un mouvement d’aller retour entre des phases de centralisation et des phases de décentralisation en fonction de la place et du rôle des équipes ou des groupes au sein du collectif. C’est encore plus vrai en ce qui concerne l’IREP pendant toute la décennie 70 où Jan Dessau a été Directeur.

 

Cette histoire sera traversée par trois étapes : une première de 1969 à 1971, une seconde de 1971 à 1975, une troisième de 1975 à 1979 qui marque la fin de l’IREP. Dans un article intitulé « Centralisation ou décentralisation des centres de recherche : une expérience de dix années » et publié dans le recueil d’articles « Jan Dessau . Textes », Jan Dessau détaille avec une grande minutie et beaucoup de clarté les caractéristiques de ces trois étapes et les logiques d’évolution qui les sous tendent. Les informations qui suivent en sont largement issues.

 

3.1. La première version de l’IREP : de 1969 à 1971.

 

L’IREP naît donc au moment où se crée l’Université des Sciences Sociales. La question qui se pose est alors celle de son rattachement institutionnel au sein de cette université. Certains préconisent que l’Institut soit une équipe de recherche intégrée à l’UER de sciences économiques. Cette hypothèse est écartée. L’IREP devient une UER à dominante recherche de l’Université des Sciences Sociales. Cette solution a un grand mérite. Elle permet de rattacher à l’IREP, trois DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies) : un DEA en économie du travail, un DEA en économie de l’énergie et un DEA en économie du développement.

 

A sa création, l’IREP repose sur cinq équipes de recherche. Trois équipes prolongent les trois équipes constitutives de l’IES, deux autres sont nouvelles :

 

– les trois équipes anciennes :

– i) l’équipe énergie au sein de l’IEJE (Institut Economique et Juridique de l’Energie).

– ii) l’équipe agricole au sein du CNEJA.

– iii) l’équipe travail, avec l’institut du travail et le CDDT).

 

. les deux équipes nouvelles

– iv) une équipe sur l’économie régionale qui deviendra le CERER sous la responsabilité scientifique de Jan Dessau et qui est l’équipe d’accueil des chercheurs qui sont à l’extrême gauche de l’IREP. Cette équipe regroupe : des transfuges de l’IES (anciens membres de l’équipe agricole, de l’équipe travail ou de l’équipe énergie) et des chercheurs recrutés à l’issue des événements de 68.

– v) une équipe développement qui, à l’époque, est composée de plusieurs groupes.

 

Cette nouvelle organisation repose sur une grande hétérogénéité des équipes qui la composent. Comme le rappelle Jan Dessau, « ces équipes sont formées pour l’essentiel selon les tendances idéologiques révélées lors des conflits de mai 68 ». Il en résulte une forte diversité des conceptualisations et des pratiques de la recherche de telle sorte que le projet commun qui avait été à la base de la création de l’institut tend à se diluer.[10].

 

Les modes de gouvernance sont profondément modifiés. La charte collective est abandonnée. L’assemblée générale qui était souveraine du temps de l’IES est mise en sommeil.. Ses attributions sont confiées à un conseil de direction qui comprend les responsables de chacune des équipes. Ce conseil en réalité, ne fait que valider des décisions préparées dans chacune des équipes. Il est un lieu d’arbitrage plus qu’un organisme de direction dans l’incapacité d’assurer une gestion efficace de l’ensemble.

 

3.2. L’IREP version 2 : le « grand IREP » en terme d’effectifs : de1971 à 1975

 

La nouvelle organisation mise en place en 1969 se révèle donc peu efficace. L’évaluation que fait Jan Dessau des résultats de celle-ci pointe tout un ensemble de dysfonctionnements. « Les groupes à la base des équipes sont trop nombreux pour une administration centrale trop faible et l’organisme de direction est trop large. La répartition des attributions et des pouvoirs entre les équipes et la direction n’est pas claire ». Sur la base de ce diagnostic, un nouveau système d’organisation est mis en œuvre en 1971. Pour reprendre le diaporama qu’Amédée Mollard a réalisé sur l’IREP, ce sera la période du « grand IREP » au moins en terme d’effectifs

 

Composition et organisation

 

Dans le nouveau système d’organisation mis en œuvre en 1971, les équipes sont remplacées par six départements regroupant de douze à vingt chercheurs. Ces départements sont rendus seuls responsables du choix des thèmes de recherche, de leur traitement, de la négociation des contrats ; ils gèrent les enseignements spécialisés, établissent leur budget et l’ordonnancent. Leurs modes d’organisation interne se diversifient, mais le regroupement de certaines tendances idéologiques dans une partie des départements s’est maintenu.

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Quatre départements prolongent les groupes précédents :

 

– l’IEJE (Institut Economique et Juridique de l’Energie. Directeur : Jean Marie Martin) qui prendra son indépendance en 1975 et changera de nom pour devenir l’IEPE,

– le CERER (Centre d’Etudes et de Recherche d’Economie Régionale. Directeur scientifique : Jan Dessau) qui est la suite de l’équipe régionale,

– le CRID (Centre de Recherche sur l’Industrialisation sur le Développement. Directeur : Pierre Judet) qui est la suite de l’équipe développement dont le bureau d’Alger,

– le département PCR (Promotion Collective et Recherche. Directeur : Jean François Troussier) qui regroupe l’équipe du travail et l’équipe agricole de l’époque de l’IES

 

 

Deux nouveaux départements sont crées :

 

– l’IPEPS (Institut de Prospective et de Politique de la Science. Directeur : Yves Barel),

– le CRISS (Centre de Recherche sur l’Informatique en Sciences Sociales. Directeur : Marc Ollivier), qui prolonge les activités contractuelles du département informatique de l’IREP et qui change de nom au moment où Marc Ollivier et René Arrhus quittent le bureau d’Alger pour s’implanter à Grenoble.

 

En 1972, l’IREP regroupe 88 chercheurs, dont 42 économistes et 18 ingénieurs. Il y aurait alors plus d’économistes à l’IREP qu’au CNRS. Outre son implantation grenobloise, l’IREP a deux bureaux ; l’un à Paris, l’autre à Alger.

 

 

 

Le bureau d’Alger

 

De toute évidence, s’il n’y avait pas eu les contrats avec l’Algérie, l’IREP aurait dû cesser de fonctionner. A ce titre, le bureau d’Alger occupe une place centrale dans la vie de l’IREP.

 

Le bureau d’Alger a été ouvert en 1966 pour la réalisation de deux contrats de recherche : un sur les conditions d’industrialisation de l’agriculture algérienne, l’autre sur la constitution d’une banque de données sur les hydrocarbures. L’étude « Développement industriel et production agricole » fut publiée en juin 1969. Pierre Judet dans ses mémoires nous apprend une chose assez incroyable : que l‘étude ne fut jamais discutée et que Abdesselam, le Ministre de l’économie n’invoque jamais dans son livre de souvenir, ni les « industries industrialisantes » ni de Bernis à qui il avait confié en 1967, l’étude sur l’industrialisation de l’agriculture.

 

Ce premier contrat fut renouvelé à la fin de 1969. Il sera suivi par plusieurs autres gros contrats de recherche, le plus souvent réalisés sous la direction de Pierre Judet sur des thèmes variés dont en particulier : la recherche en Algérie, le rôle de l’engineering dans l’industrie (avec Jacques Perrin), les sociétés publiques SNM (société nationale Métal) et la SNS (société nationale de la sidérurgie), le budget et les finances algériennes (avec Jean Charles Monateri ). Une autre recherche très importante sera réalisée en 1972 sur les surcoûts constatés dans les grandes industries algériennes par Jean Claude Guégan, Claude Courlet et Alain Gaulé… suivie par une étude sur le développement régional et « les pôles de développement » réalisée par Claude Courlet qui ne semble pas encore parler à l’époque des SPL (systèmes productifs localisés) !..Toujours en 1972, l’IREP est chargé d’une enquête prospective sur la consommation, réalisée par Janine Blanc et Christine Beauviala qui à cette occasion, comme tout Irepien, séjournera à Alger (pendant 4 mois).

 

Le bureau d’Alger sera fermé en 1977-1978.

 

En moyenne il y aura au bureau d’Alger une dizaine de chercheurs permanents (dont Jean Charles Monateri, Jean Claude Guégan, Raphaël Tiberghien, Jean Raphaël Chaponnière, Col Hunter, Marc Ollivier, René Arrhus…). A l’époque, un très grand nombre de chercheurs de l’IREP interviennent de manière plus occasionnelle pour des durées variables. Sur ce plan, sans aucun doute, le record sera détenu par Pierre Judet qui, de juin 1966 à décembre 1978, effectuera une quarantaine d’aller-retour entre Grenoble et Alger, pour des séjours de une à six semaines, soit l’équivalent de plus de deux ans !

 

 

 

Au début des années 70, la renommée de l’IREP est très grande. L’Institut fait partie du mythe grenoblois. Il est connu et reconnu au plan national et à l’étranger, pour sa taille mais surtout pour ses particularités et son originalité dans le milieu des sciences sociales. Dans son livre « Grenoble : le mythe blessé » Pierre Frappat décrit assez justement l’économiste de l’IREP comme « un chercheur qui court après des contrats en France ou à l’étranger et qui, tout en étant heureux de trouver un rapport à faire pour la DATAR, aimerait bien que ses travaux soient utiles à la classe ouvrière » (page 125). Quelques années plus tard, en 1976, le Monde de l’éducation, publie une étude sur le palmarès des universités françaises sur la base des résultats de 1975. Derrière Paris, classé hors concours, le site de Grenoble se voit attribuer le prix d’excellence. Surtout, il ressort de ce palmarès que « Grenoble est la ville la plus souvent citée après Paris dans deux disciplines des sciences sociales : les sciences politiques et l’économie ». Nul doute que la contribution de l’IREP à ce succès était significative.

 

Des modalités de fonctionnement contrastées selon et au sein des équipes

 

Derrière cette entité que constitue l’IREP, il y a en réalité trois collectifs de chercheurs qui cohabitent, chacun ayant ses propres règles et conventions, avec des critères d’appartenance et de recrutement qui leur sont spécifiques :

 

– Le premier collectif regroupe deux sous ensembles que constituent les deux nouveaux départements : le CRISS et l’IPEPS. Ils ont en commun de s’organiser autour de domaines de spécialité bien précis, à partir de critères professionnels de recrutement.

 

– Le second collectif est composé des chercheurs du CERER qui sont qualifiés de « gauchistes » et qui sont tous dans la mouvance des organisations politiques d’extrême gauche..

 

– Le troisième collectif prolonge le « noyau historique » de l’IES autour de l’équipe travail et de l’équipe agricole, complétées par les chercheurs du CERCID qui travaillent dans le champ de l’économie industrielle et de l’économie du développement.

 

 

  1. a) le fonctionnement de ce « troisième collectif »

 

Au plan professionnel, le fonctionnement de ce troisième collectif est semblable et dans la continuité de celui décrit précédemment dans la partie concernant l’IES. Ce qui change, c’est ce qui se passe au sein du fonctionnement collectif en relation avec l’environnement non professionnel. Dans ces années post 68, se développent entre chercheurs des relations d’amitié et de solidarité très fortes, qui complètent et renforcent leurs solidarités professionnelles.

 

D’une manière plus générale, cette période est marquée par des chevauchements constants entre ce qui relève du domaine professionnel et ce qui relève du non professionnel.

 

  1. b) Les relations conflictuelles entre départements

 

Parallèlement à cette ambiance consensuelle entre les chercheurs des départements PCR et CRID, les rapports sont de plus en plus conflictuels avec le département CERER. Les tensions sont en relation avec une opposition qui n’est pas récente mais qui est croissante entre le Parti Communiste Français et les mouvements d’extrême gauche. Elle date de l’époque où l’organisation des étudiants communistes, l’UEC, préfère se dissoudre plutôt que de rentrer aux ordres du PCF. Les évènements de mai 1968 durcissent les points de confrontation entre le PCF et l’extrême gauche, tant en ce qui concerne la conduite du conflit qu’en ce qui concerne les modalités de la fin du conflit. Les positions de la gauche et de l’extrême gauche deviennent alors totalement inconciliables. A l’IREP, ces tensions vont être exacerbées pour de multiples raisons.

 

D’une part à cette époque on assiste à une radicalisation de plus en plus forte du CERER qui reflète la radicalisation croissante de l’extrême gauche au plan national. Des conflits violents éclatent. Un militant maoïste Pierre Overney est tué par un surveillant de Renault Billancourt. En réplique, un cadre est enlevé. En 1971, le mouvement de la gauche prolétarienne est dissout. Pierre Boisgontier et Eric Henry sont arrêtés. Ils sont mis en garde en vue et leur appartement fouillé. De nouvelles formes de luttes dures se développent. En 1973, suite à la liquidation judiciaire de leur entreprise, le personnel de Lip, soutenu par la CFDT, s’organise en autogestion pour remettre en marche l’appareil productif. Au même moment, les paysans du Larzac s’opposent à l’armée, soutenus par l’ensemble des groupes radicaux. La contestation s’élargit.

 

D’autre part dans le même temps, les conflits internes à l’IREP sont le reflet des conflits entre le Parti Communiste Français et les différentes composantes de l’extrême gauche. Ils sont à l’origine d’une véritable haine politique partagée et réciproque. D’un côté, une grande partie du noyau dur grenoblois de l’extrême gauche travaille à l’IREP. De l’autre, l’IREP, et plus particulièrement le département PCR, est considéré par l’extrême gauche comme une institution historiquement marquée par ses attaches au PCF et inféodé à un parti qui est leur ennemi. Tous les ingrédients sont réunis pour que la coexistence entre le CERER et les autres départements ne soit pas pacifique.

 

Au début des années 70, cette radicalisation des rapports internes a une expression concrète et significative du climat qui règne au sein de l’institut. Des membres du CERER rédigent et diffusent plusieurs numéros d’un bulletin très critique sur le fonctionnement de l’IREP intitulé « Le trou : le bulletin des taupes, des vers de terre et des rongeurs » (tout un programme !). Son titre fait référence au trou financier de l’institut. Il vise tout à la fois : à dénoncer le procès qui est fait au CERER au sein de l’IREP, à justifier la situation financière du CERER et à expliquer les raisons du déficit de l’équipe qui contrairement aux autres équipes n’a pas ou très peu de chercheurs sur poste CNRS. En même temps, les auteurs du bulletin dénoncent la dégradation des conditions de sécurité de leur emploi, du niveau de leur salaire, des conditions matérielles et psychologiques de leur travail.

 

Dans ce contexte conflictuel, il n’y a plus de projets communs de l’IREP partagés par l’ensemble des chercheurs qui le composent. Une seule réalité est maintenue : la solidarité financière entre les différents départements du fait de l’existence d’une péréquation automatique entre ceux qui sont déficitaires et ceux qui sont bénéficiaires. Or, cette solidarité statutairement imposée est de plus en plus mal acceptée à un moment où l’IREP traverse une grave crise financière.

 

L’ampleur et l’accentuation de la crise financière en 1974

 

Les variables à l’origine de cette crise sont multiples. Parmi celles ci, une est principale. Elle tient à l’ampleur, à la nature et aux modalités des recrutements qui ont eu lieu depuis la fin des événements de 68 et qui accompagnent les changements successifs d’organisation. La réforme de 1971 en renforçant l’autonomie scientifique des départements, renforce leur autonomie en matière de recrutement, tout en maintenant la mutualisation des moyens financiers. La tendance signalée précédemment entre 1969 et 1971 est fortement amplifiée. De 1965 à 1968, les effectifs ont doublé passant d’une vingtaine à 41 en 1968. Entre 1968 et 1972, les effectifs doublent de nouveau, passant de 41 à 88. En moins de 10 ans, les effectifs ont quadruplé.

 

Les contraintes financières deviennent de plus en plus fortes. La grande majorité des nouveaux recrutements sont des hors statut, ce qui oblige à mobiliser de nouvelles ressources contractuelles pour faire face à des dépenses de salaires qui s’élèvent en 1971 à 713 428 francs.

 

De manière concomitante, le déficit de l’IREP ne cesse d’augmenter. L’ADR (Association pour le Développement de la Recherche) a des difficultés croissantes à assurer la trésorerie de l’institut, avec un risque non négligeable de déséquilibrer le financement des autres laboratoires de recherche en sciences exactes. Les craintes liées à cette situation sont partagées au niveau de l’université.

 

En 1974, l’alerte est maximale. Les chercheurs hors statut sont payés, mais souvent avec plus ou moins de retard. C’est le cas de cette période[11]. Maurice Besson, le comptable de l’ADR est « séquestré » symboliquement pendant deux heures dans un bar par une délégation de chercheurs qu’il ne peut pas (ou ne veut pas !) recevoir dans ses bureaux de Bouchayer. Reste une seule solution : l’Algérie.

 

 

 

Comment en 74, on a été « sauvé » par l’Algérie

 

A la demande de l’assemblée générale, Gérard de Bernis prend l’avion pour Alger. Il rencontre Sid Ahmed Ghozali, le président de la SONATRACH qui accepte sur le champ (selon la rumeur l’entrevue aurait eu lieu à l’aéroport !) de signer un chèque de 1 million de francs à l’IREP pour l’aider à surmonter ses difficultés. Gérard de Bernis revient triomphant devant l’assemblée générale de l’IREP. Effectivement, SA Ghozali qui s’est envolé pour l’Angleterre après son entrevue avec Gérard de Bernis, a téléphoné depuis Londres à Maurice Besson, le comptable de l’ADR, pour lui confirmer son engagement à lui faire parvenir directement le chèque dans les meilleurs délais. La crise est provisoirement réglée. Une fois encore, l’Algérie par l’intermédiaire de la SONATRACH nous a sauvés, mais on a eu très chaud.

 

 

Par rapport à ce déficit global, la situation financière des différents départements est contrastée. Certains départements sont sur un plan financier quasiment équilibrés. C’est le cas de l’IPEPS, du CRISS, et de PCR. Le CRID est très excédentaire, un autre est très déficitaire : le CERER.

 

– L’IPEPS (Institut de Prospective et de Politique de la Science) n’a pas de contraintes financières fortes. Les chercheurs hors statut sont peu nombreux. Les opportunités de recherche contractuelle sont fortes (en particulier avec le Plan) du fait de la présence de Yves Barel à la direction du département.

 

– Le CRISS (centre de recherche sur l’informatique en sciences sociales) réalise de gros contrats de recherche avec en particulier : la Sonatrach en Algérie, la Communautés Européenne sur les séries statistiques, et avec la Bibliothèque Nationale.

 

– Le département PCR (promotion collective recherche) reçoit des subventions du ministère du travail et du ministère de l’agriculture pour le financement des stages qu’il organise, et des collectivités locales de la région de Grenoble pour le financement du CDDT.

 

– Un département est très bénéficiaire, le CRID (centre de recherche sur l’industrialisation et sur le développement) grâce en particulier aux contrats qu’il réalise en Algérie (cf l’encadré sur le bureau d’Alger, pages précédentes).

 

– Un autre est très déficitaire, le CERER suite à sa politique de recrutement après 1968. Après cette date, le CERER a beaucoup recruté. Sur un effectif de 18 enseignants chercheurs dans les années 70-71, 6 seulement sont des anciens transfuges de l’époque de la fin de l’IES, alors que les 2/3 sont des nouveaux, recrutés sur la base de critères purement idéologiques. Tous sont des militants de l’extrême gauche le plus souvent leaders dans leur organisation dont : un est un ancien du comité d’action des étudiant, un autre est de la LCR (organisation de la mouvance trotskiste), et quatre de la mouvance « maoïste ». Sur un total de 18 chercheurs permanents, deux seulement sont sur poste CNRS. Les contraintes financières sont ainsi très fortes, trop fortes pour une équipe qui a : i) une politique de recrutement à court terme à partir des opportunités ponctuelles des contrats qui se présentent sans s’assurer des conditions de pérennisation de ces embauches, ii) qui n’a pas de politique financière propre.

 

Dans ces conditions, la situation financière générale de l’IREP crée une situation ubuesque. C’est le département le plus contestataire et qui s’éloigne le plus du projet fondateur, qui est le plus déficitaire, et qui de ce fait met en déficit l’ensemble de l’institut. Le CERER ne subsiste alors que grâce à la solidarité financière (imposée par les statuts) de la partie de l’IREP qu’ils condamnent. Les tensions deviennent insoutenables. Des changements s’imposent qui donneront naissance à une nouvelle configuration de l’IREP.

 

 

3.3. L’IREP version 3 : La période de l’IREP de 1975 à 1979 : la fin annoncée de l’IREP.

 

Une nouvelle modification des statuts est adoptée en janvier 1975. Elle entraîne une plus grande décentralisation financière au niveau des départements. Désormais, les nouveaux statuts apportent une rupture radicale par rapport à la situation antérieure. Ils suppriment la péréquation automatique entre les départements bénéficiaires et les départements déficitaires. Ils annoncent l’éclatement final de l’IREP.

 

Parallèlement, l’Université est conduite, pour des raisons qui lui sont propres, à prendre directement en main certaines des fonctions centralisées de l’institut, notamment en matière d’administration financière et surtout de gestion du personnel. Cette nouvelle modification des statuts provoque alors une série de réactions contre la décentralisation financière, qu’un certain nombre de chercheurs interprètent comme une menace contre l’institut et un danger pour la sauvegarde de leur emploi

 

Mais en même temps, à cette époque plusieurs décisions vont avoir pour effet de faire baisser certaines tensions antérieures :

 

– premièrement, à partir du 1er janvier 1976, les recrutements sont strictement bloqués par la DGRST.

– deuxièmement, l’équipe agricole devient au début de l’année 1976, une équipe de l’INRA qui reste rattachée à l’IREP alors que quelques mois plus tôt ; l’IEPE a pris son indépendance.

– troisièmement et surtout, commence au début de l’année 1977 un processus qui va s’étaler sur plusieurs années : l’intégration des hors statuts.

 

Pour toutes ces raisons, les effectifs baissent. Ils passent de 88 en 1972, à 62 en 1976 (une partie de cette baisse tient au départ de l’IEPE). Les problèmes financiers ne sont pas réglés pour autant. Au contraire, l’IREP va être confronté à une seconde grande crise financière et de trésorerie qui cette fois sera fatale.

 

La dynamique d’intégration des hors statut qui débute à cette époque, est positive. Au plan individuel, elle a pour conséquence une amélioration significative du statut et des conditions de travail des personnels qui en bénéficient. Au plan collectif, elle minimise les contraintes en matière de ressources contractuelles. Sa mise en œuvre entraîne cependant des effets pervers. L’enveloppe recherche de la DGRST qui permettait de financer un grand nombre de recherches contractuelles est désormais utilisée pour financer la titularisation des hors statuts… alors que de nombreux chercheurs ne sont pas encore bénéficiaires du dispositif. Après la première vague d’intégration des années 78-79, il reste en effet à l’IREP 25 chercheurs hors statut. Il en résulte une très forte augmentation du déficit et une aggravation considérable du découvert de trésorerie, de l’ordre de 3,5 millions de francs à la fin 1977, ce qui représente environ 50% du budget.

 

En 1979, les premiers financements relais à l’intégration sont libérés. L’exercice 1979 bénéficie d’un transfert dans le temps d’une partie des ressources liées à l’intégration qui auraient dû être versées en 1978. La recherche de nouveaux financements étrangers, entreprise dés le début de 1978 aboutit à la signature de nouveaux contrats au début de 1979. La très grave crise annoncée pour 1979 est en principe maîtrisée. Jan Dessau se sent alors libre pour annoncer sa démission de la direction de l’IREP au début du mois de décembre 1978. Je suis rentré de Madagascar quelques mois plus tôt.

 

 

2. Une initiative originale en matière de formation continue : « l’opération cinq entreprises »

 

Dans le prolongement des négociations lancées après mai 1968, les partenaires sociaux signent 9 juillet 1970 un accord interprofessionnel sur la formation et le perfectionnement professionnel. Cet accord prévoit en particulier : un droit individuel au congé formation et un nouveau droit collectif en confiant au comité d’entreprise un rôle consultatif en matière de formation dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le 16 juillet 1971, la loi reprend l’accord interprofessionnel. Elle généralise le principe du congé individuel et réaffirme le rôle du comité d’entreprise. Dans cette perspective, chaque année, la commission formation du comité d’entreprise est obligatoirement consultée pour délibérer sur le plan de formation de l’entreprise.

 

Jacques Freyssinet, est Vice Président à l’université des sciences sociales chargé de la formation continue. Il rencontre les différentes organisations syndicales membres du conseil d’administration de l’université (CGT, FO, CFDT et CGC) pour leur signaler que l’université souhaite mettre en place des formations correspondantes aux besoins de formation exprimés par les salariés et qu’elle attendait avec bienveillance que les organisations syndicales lui transmette ces besoins. A la réunion de la commission éducation permanente de l’université des sciences sociales qui a lieu le 6 juin 1973, Wegner qui représente la CFDT, fait part au nom de l’intersyndicale, des difficultés que rencontrent les syndicats dans les entreprises pour identifier et exprimer les besoins de formation des salariés. En conséquence et en réponse aux sollicitations de l’université, l’intersyndicale lui demande un appui pour aider les comités d’entreprise à procéder à ce travail. Elle précise en outre, qu’en cas de réponse positive, les unions départementales préféreraient que cette action soit rattachée à l’Institut du travail au sein de l’IREP.

 

L’université accepte la requête de l’intersyndicale. Elle affecte un poste d’enseignant-chercheur à cette opération, le mien. L’action dans un premier temps sera centrée à titre expérimental sur cinq entreprises de la région grenobloise, d’où son nom « l’opération cinq entreprises ». L’intersyndicale propose cinq entreprises, significatives de la diversité du tissu économique local : les biscuits Brun, Merlin-Gerin, Ugine Carbone (SECEMAEU), la banque nationale populaire, Péchiney Ugine kuhlman à Jarrie.

 

Il s’agit bien d’une intervention de type promotion collective, puisqu’elle vise à renforcer la capacité des organisations syndicales à promouvoir les intérêts des salariés. Elle consiste en une assistance technique aux commissions formation de ces cinq entreprises avec un triple objectif : a) informer et former les militants syndicaux sur le contenu des nouveaux droits, b) les aider à informer et à sensibiliser les salariés pour leur permettre de s’approprier ces nouveaux droits, c) les aider à formuler leurs revendications dans ce domaine en s’appuyant sur une démarche rigoureuse d’analyse et d’expression des besoins de formation des salariés[12]..

 

« L’opération cinq entreprises » est une forme originale de promotion collective dans la mesure où elle se développe au niveau élémentaire de l’action syndicale, au sein même de l’entreprise

 

 

 

 

 

Chapitre 3

De l’IREP à la fin de l’IREP-D

 

Les décennies 80-90

 

 

 

 

Mon itinéraire professionnel au cours de cette période

Septembre 1978, je rentre de Madagascar. Je retrouve l’université et l’IREP qui est à la veille de deux changements majeurs : d’une part le changement du sigle de l’institut, l’IREP devenant l’IREP-D, et d’autre part, le changement du directeur de l’institut suite à la démission de Jan Dessau.

 

A l’IREP, je commence par reprendre mes activités de promotion collective. Puis progressivement mes activités professionnelles vont se diversifier. Elles passent d’abord, du niveau local (le monde syndical des entreprises de la région grenobloise) au niveau national. Je participe à la création et au lancement de l’ENSGI (Ecole Nationale Supérieure de Génie Industriel) au sein de l’INPG (Institut national Polytechnique de Grenoble). Mes activités deviendront ensuite très majoritairement internationales à partir de la décennie 90 à travers plusieurs activités intégrées :i) des activités de recherche ; ii) le lancement et l’animation de la cellule de coopération avec les pays du Sud au sein de l’Université Pierre Mendès France, à la demande du président de l’université ; iii) des activités d’enseignement comme Directeur du DESS Gestion et Dynamisation du Développement et comme initiateur et animateur du réseau des DESS africains de développement avec huit universités africaines ; iv) des activités d’expertise internationale dans les domaines de l’emploi et de la formation, comme consultant international du BIT et du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) sous la forme d’une quarantaine de missions de consultation dans plus d’une quinzaine de pays africains différents à partir du début de la décennie 80 jusqu’au au moment de mon départ en retraite.

 

Ce chapitre couvre la période depuis mon retour de Madagascar (septembre 1978) jusqu’à mon départ en retraite (décembre 2003)

 

 

 

 

A la fin de l’année 1978, s’achève une très grave crise qui est à la fois institutionnelle et financière. Jan Dessau, annonce en décembre sa décision de démissionner de son poste de directeur. Il s’ensuit une période instable et agitée. La situation est compliquée. L’IREP est à la fois une composante de l’université, sous la forme d’une UER (unité d’enseignement et de recherche), et un laboratoire de recherche. S’agissant de l’IREP-UER, c’est une UER à dominante recherche à laquelle sont rattachées quatre formations de troisième cycle : deux DEA et deux DESS. Elle est maintenue comme telle jusqu’à la mise en œuvre de la loi Savary en 1988. Jean-François Troussier en assure au départ la direction. S’agissant du laboratoire de recherche IREP, le départ de Jan Dessau ouvre une nouvelle période qui sera marquée par l’élection de plusieurs directeurs et par des restructurations successives jusqu’à sa disparition en 2003, juste avant que je ne parte en retraite.

 

Du début des années 80 à la veille du nouveau millénaire, trois étapes marquent l’histoire de l’IREP qui prend des appellations variables. Au cours de chacune de ces phases, l’IREP sera associé directement à plusieurs initiatives innovantes de l’Université Pierre Mendès France :

 

 

L’histoire de l’IREP au cours des deux décennies 80 et 90, se déroule autour de trois étapes principales :

 

Etape 1 : en 1979, Bernard Mériaux remplace Jan Dessau. L’IREP devient l’IREP-D (institut de recherche économique et de planification du développement). Pierre Judet lui succède en 1983.

 

Etape 2 : en 1989, commence une nouvelle étape avec l’élection de Amédée Mollard qui remplace Pierre Judet. Le sigle reste le même, mais la référence à la planification disparaît, remplacée par la référence à la production. L’IREP-D devient l’IREPD (institut de recherche sur la production et le développement). Plusieurs directeurs lui succèdent : Claude Courlet d’abord entre 1993 et 1996, puis Michel Hollard entre 1996 et 1999

 

Etape 3 : elle marque la fin de l’IREPD en 1999 à partir de l’élection de Bernard Billaudot comme Directeur. Yves Saillard sera le dernier directeur de l’IREPD avant que l’institut disparaisse et qu’il soit remplacé par le LEPII (laboratoire  d’économie de la production et de l’intégration internationale).

 

 

 

Les différents intitulés du laboratoire

 

L’IES (Institut d’Etudes Sociales), le sigle d’origine jusqu’en 1969

– L’IREP (Institut de Recherche Economique et de Planification) de 1969 à 1979

L’IREP-D (Institut de Recherche Economique et de Planification du Développement) de 1979 à 1989

L’IREPD (Institut de Recherche Economique sur la Production et le Développement) de 1989 à 1999

– Le LEPII(Laboratoire  d’Economie de la Production et de l’Intégration Internationale) de 1999 jusqu’à mon départ en retraite.

 

 

 

I. Etape 1 : le passage de l’IREP à l’IREP-D. Un premier recentrage de l’institut qui devient associé au CNRS

 

Quand au début de 1969, Jan Dessau succède à Gérard de Bernis, l’IREP (institut de recherche économique et de planification) remplace l’IES (institut d’études sociales). Une dizaine d’années plus tard, Jan Dessau démissionne. Son remplacement est assez problématique. Il n’est pas immédiat et fera l’objet de nombreuses péripéties

 

Bernard Mériaux vient d’être nommé Professeur associé à l’université. Il a une double compétence dans les domaines de l’emploi et de la formation, et dans le domaine du développement. Précédemment, il a été Directeur du complexe sidérurgie d’Annaba en Algérie, où il a connu plusieurs chercheurs de l’IREP. Il est par ailleurs bien introduit dans la communauté scientifique de la recherche en sciences sociales au plan national. Pour toutes ces raisons, il est élu pour remplacer Jan Dessau.

 

  1. La direction de Bernard Mériaux

 

Dés le départ, Bernard Mériaux réorganise profondément l’IREP et change le sigle du laboratoire. Surtout, il est l’artisan de l’intégration de l’IREP au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) en 1982, qui deviendra alors équipe associée du CNRS.

 

Le premier recentrage de l’IREP et le passage à l’IREP-D

 

La crise précédente, à l’origine de la démission de Jan Dessau a mis en évidence la quasi impossibilité de faire fonctionner un laboratoire de recherche universitaire de grande taille, couvrant un champ très étendu, et regroupant des chercheurs ne partageant pas les mêmes valeurs et les mêmes pratiques. Le but central de la réorganisation de l’IREP sera de recentrer les activités de l’institut autour d’un collectif plus restreint de chercheurs fonctionnant sur la base d’un consensus et de partage de valeurs communes.

 

Très concrètement, cela se traduit par plusieurs décisions. Deux départements antérieurs de l’institut se regroupent, le CERCID (Centre d’Etude et de Recherche sur la Coopération Internationale et le Développement) et le département PCR (Promotion Collective et Recherche). Ce regroupement se traduit par un changement d’intitulé du nouveau collectif en rajoutant la référence au développement dans le nouveau sigle. Concrètement l’IREP devient l’IREP-D (l’institut de recherche économique et de planification du développement). Dans le même temps cette recomposition s’accompagne d’une rupture avec le CERER qui s’autonomise au sein de l’UER IREP.

 

A la suite de cette restructuration de l’institut, l’IREP-D regroupe trois équipes permanentes :

 

l’équipe agricole qui comprend : le laboratoire en socio-économie de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), TPR (télé promotion rurale Rhône Alpes) et le CNEEJA (centre national d’études économiques et juridiques agricoles) qui organise des sessions de formation pour les militants des organisations syndicales et professionnelles agricoles,

 

l’équipe d’économie du travail qui comprend : l’institut du travail, le CDDT et le centre inter-régional associé du CEREQ (centre d’études et de recherches sur l’emploi et les qualifications),

 

le CERCID (centre de recherche sur l’industrialisation et le développement) qui comprend le groupe développement et le groupe de recherche sur l’industrie.

 

Avec cette nouvelle composition autour de trois équipes, c’est en quelque sorte, un « retour aux sources ». Ces différentes équipes couvrent en effet plusieurs domaines de spécialisation qui étaient déjà ceux du cœur historique de l’institut à l’époque de l’IES : l’économie agricole, l’économie du travail, l’économie industrielle et l’économie du développement. Dans chacun de ces domaines, les équipes développent deux types d’activités principales: d’une part des activités de recherche, d’autre part des activités d’enseignement de troisième cycle, deux DEA et deux DESS (en association avec la faculté d’économie). En outre une partie importante et historique des activités de l’équipe agricole et de l’équipe d’économie du travail relève de la promotion collective

 

L’IREP-D est donc de taille plus restreinte que la configuration précédente de l’IREP après s’être séparé du CERER, du CRISS et de l’IPEPS (l’équipe de l’énergie a pris elle son indépendance en 1975). Il reste cependant le plus grand centre de recherche universitaire en effectif, avec 43 enseignants-chercheurs permanents et 25 personnels techniques et administratifs.

 

 

Les effectifs de l’IREP-D : octobre 1983

 

– Personnels relevant du CNRS : 17 (dont 6 chargés de recherche, 1 attaché de recherche, 10 ITA

– personnels relevant du ministère de l’éducation nationale : 30 (dont 4 professeurs, 4 maîtres de conférence, 6 assistants, 16 ITA

– personnels relevant de l’INRA : 14 (dont 3 maîtres de recherche, 3 chargés de recherche, 8 ITA)

– personnels hors-statut : 7

 

Total: 68 personnes

 

 

L’association en 1982 de l’IREP-D au CNRS : l’IREP-D devient une unité associée au CNRS

 

En 1982, l’IREP-D devient unité associée au CNRS (unité associée 364). Cette association met fin à la contradiction entre d’une part l’existence d’un personnel CNRS nombreux au sein de l’institut suite au processus d’intégration des hors statuts et d’autre part l’absence de liens institutionnels avec le CNRS.

 

Cette décision va avoir de très importantes conséquences positives. C’est d’abord une reconnaissance par la communauté scientifique de la qualité scientifique de nos travaux. C’est donc un atout important par rapport à nos partenaires tant français qu’étrangers. Deuxièmement, elle a le mérite de réduire la précarité des statuts de certains personnels et de leur assurer une plus grande stabilité professionnelle. Troisièmement, par ce rattachement on bénéficie de nouveaux moyens tant pour le financement de nouveaux équipements que pour la couverture de certaines dépenses de fonctionnement. Quatrièmement enfin, cette association au CNRS donne la possibilité au laboratoire de garder ses membres qui ont un statut CNRS.

 

Toutefois, par delà ces avantages qui sont réels et de manière plus fondamentale, l’intégration au CNRS va infléchir les logiques antérieures d’organisation de la recherche au sein de l’IREP-D, avec deux conséquences majeures.

 

– En premier lieu, on va passer progressivement d’une recherche « engagée » et « militante » articulée à la demande sociale à une recherche beaucoup plus académique impulsée par les « docteurs du temple ». A partir du début des années 80, l’IREP-D perd ainsi de son originalité et de sa spécificité. La politique scientifique du laboratoire sera de plus en plus orientée et rythmée par les « modes » et les évolutions successives – quand elles ne sont pas contradictoires – impulsées par le ministère de l’enseignement supérieur, le CNRS et les autres institutions nationales de recherche : l’INRA et l’ORSTOM (qui deviendra l’Institut de Recherche sur le Développement).

 

– En second lieu, l’intégration introduit une diversité et une hétérogénéité croissante des statuts en fonction du rattachement institutionnel et administratif des personnels. Cela se traduit en particulier par des modalités d’évaluation des travaux des chercheurs et donc du déroulement de leurs carrières qui sont spécifiques à leur institution de rattachement et qui vont dans le sens de logiques individuelles au détriment de logiques plus collectives. Dans ces conditions le maintien et l’existence d’un consensus suffisamment explicite sur les pratiques de recherche, seront de plus en plus aléatoires.

 

  1. La consolidation de la restructuration de l’IREP-D sous la direction de Pierre Judet

 

A la fin de 1982, Bernard Mériaux n’est pas renouvelé comme Professeur associé à l’université des sciences sociales, à la suite d’un vote de la commission de spécialistes de sciences économiques de l’Université, restreinte aux Professeurs. Il quitte alors Grenoble pour Paris d’abord au Commissariat du Plan puis à la direction de l’ANPE. Il est alors remplacé par Pierre Judet comme directeur de l’IREP-D.

 

Il est remplacé par Pierre Judet, qui est entré à l’IES en mai 1968, et qui devient le nouveau directeur de L’IREP-D.

 

 

Quelques éléments du parcours de Pierre Judet

 

Après le grand séminaire à Marseille, il rentre en octobre 1948 au séminaire de la mission de France à Lisieux d’où sont issus un grand nombre de prêtres ouvriers de l’époque. Ordonné prêtre en mai 1950, il est nommé prêtre de la « Mission de France » à la paroisse St Michel de Marseille. Sa paroisse est un lieu de rencontre très important avec les prêtres ouvriers de Marseille avant qu’ils ne soient interdits en janvier 1954. A partir de 1952, les contacts se multiplient avec le « mouvement de la paix » proche du parti communiste. Pierre Judet participe au lancement et à l’animation de « comités de paix » rattachés au mouvement de la paix autour de débats qui portent à l’époque sur la guerre en Indochine, sur le réarmement allemand. Eclate la guerre en Algérie en 1954. Il milite alors activement pour la fin de cette guerre, et pour la reconnaissance du droit à l’indépendance du peuple algérien. C’en était trop. En janvier 1955, l’archevêque de Marseille demande aux prêtres de la paroisse de St Michel de quitter le « mouvement de la paix ». Au printemps 1956, Pierre Judet est congédié par son archevêque qui lui ordonne de quitter Marseille où il est indésirable.

 

Il rejoint à Grenoble, son ami Georges Mollard ancien prêtre de la paroisse de St Michel, qui lui aussi a dû quitter Marseille et qui a été nommé à Grenoble pour créer une nouvelle paroisse à la périphérie du centre ville : la paroisse St Marc. Il l’aide à construire l’église de la paroisse en réaménageant une ancienne ferme qui sera détruite quelques années plus tard au moment des Jeux Olympiques de Grenoble, pour laisser la place à l’immeuble du quartier Malherbes, qui abritera les journalistes des JO et au centre œcuménique St Marc. Une seconde fois il est chassé de sa paroisse par l’évêque de Grenoble (qui n’a jamais accepté la venue de Pierre à Grenoble), l’évêque Fougeras que Frappat décrira dans son livre « Grenoble : le mythe blessé » comme « un prélat qui réussit à se mettre à dos la plupart des chrétiens engagés dans une action militante et une bonne partie de son clergé ». Ce ne sera pas la dernière.

 

Il part alors en Tunisie où il débarque en novembre 1957. Quelques années auparavant, Pierre Judet a connu Gérard de Bernis à la « Quinzaine » qui regroupe des chrétiens progressistes autour d’une revue qui sera condamnée en 1955 par la hiérarchie catholique quelques mois après l’interdiction des prêtres ouvriers. Depuis 1958, Gérard de Bernis est à Tunis où il est professeur. Il invite Pierre Judet à le joindre. Ce qu’il fait pour être à la fois chercheur et prêtre. Dans sa nouvelle paroisse, il rencontre de nombreux militants et sympathisants du FLN algérien, alors que les opérations militaires s’intensifient en Algérie. A un moment, il collabore avec l’UGTA (union générale des travailleurs algériens). Sa paroisse de Tunis est fermée en juillet 1964 à la suite des accords de concordat entre le Vatican et le gouvernement tunisien. Dans la foulée, il est convoqué par son archevêque qui lui demande de quitter la Tunisie où sa présence n’est plus souhaitable. C’est la troisième fois que sa hiérarchie veut l’expulser. Cette fois il refuse d’obéir aux ordres. Il reste. Par chance, quelques mois plus tard, l’archevêque quitte la Tunisie. Son remplaçant lui demande de rester. Pierre Judet quittera la Tunisie à la fin de 1967, pour rentrer à l’IES en mai 1968, après un séjour de plusieurs mois dans différents pays du Sud Est asiatique et deux missions au Sénégal dans le cadre de l’équipe de l’ISEA Dakar qu’il dirige avant de la fermer.

 

 

Après le départ de Bernard Mériaux et l’élection de Pierre Judet, l’organisation de l’IREP-D reste sensiblement la même autour des quatre pôles de recherche « historiques » (cf ci devant) : i) le pôle économie du travail qui regroupe 13 chercheurs permanents, ii) le pôle économie agricole qui regroupe 10 chercheurs permanents, iii) le CERCID et le pôle économie du développement qui regroupe 9 chercheurs permanents, iv) le pôle économie industrielle qui regroupe 7 chercheurs permanents.

 

En matière d’enseignement, l’IREP-D organise en collaboration avec l’UER de sciences économiques, plusieurs enseignements de troisième cycle :

 

– deux DEA : i) un DEA développement sous la responsabilité de Pierre Judet qui reçoit chaque année entre 20 et 25 étudiants dont les trois quarts en provenance des pays en développement, ii) un DEA d’économie du travail sous la responsabilité de Michel Hollard, qui a pris la suite en 1985 du DEA ressources humaines, centré sur l’analyse des systèmes de travail et de production. Au cours de l’année universitaire 1984-1985 seront soutenues : 29 thèses de troisième cycle dans le cadre du DEA développement et 12 thèses de troisième cycle dans le cadre du DEA économie du travail

 

– un DESS « gestion des ressources humaines » sous la responsabilité de Philippe Caillot.

 

Sous la direction de Pierre Judet trois initiatives auront des conséquences très importantes pour l’avenir de l’institut : le renforcement de l’ouverture internationale de l’IREP-D d’une part, la préparation de l’IREP-D à la mise en œuvre de la nouvelle réforme de l’enseignement Savary, la commande d’un audit externe.

 

Le renforcement de l’ouverture internationale de l’IREP-D

 

Pierre Judet a une très  bonne connaissance du terrain des économies en développement. Avant de rentrer à l’IREP-D, il a accumulé une grande expérience internationale suite en particulier à des périodes d’activité professionnelle en Tunisie où il est responsable du bureau de l’ISEA de Tunis après l’expulsion de Gérard de Bernis au cours de l’été 1959, en Algérie et au Sénégal, et à des missions qui l’ont amené en Thaïlande et dans plusieurs pays du Sud-Est asiatique d’avril à octobre 1965.

 

A partir des années 1977-1978, il lance de nouveaux travaux sur la « semi industrialisation » et sur « les nouveaux pays industriels ». Il contribue ainsi très largement au renouvellement de la problématique sur le développement à partir d’une réflexion critique sur les modèles de développement de la période antérieure (dont le modèle des « industries industrialisantes »), en insistant sur les différenciations du Tiers Monde en liaison avec la montée en puissance des « nouveaux pays industriels». Il sera un des premiers économistes universitaires français à s’intéresser à l’Asie. Dans cette perspective, en 1985, il crée au sein de l’IREP-D avec l’appui du ministère des affaires étrangères le « centre Asie sur les économies du sud-est et de l’est asiatique », et encadre un grand nombre d’étudiants (en particulier des étudiants coréens) qui préparent des thèses de troisième cycle sur ces pays

 

La préparation du nouvel ancrage de l’IREP-D dans l’université à la suite de la réforme Savary

 

Le 25 janvier 1984, une nouvelle loi est votée qui réforme le fonctionnement des universités : la loi Savary du nom du ministre de l’éducation nationale de l’époque. Elle n’introduit pas des changements majeurs par rapport à la loi Faure qui a été mise en œuvre à la suite des événements de 1968, sauf sur un point qui concerne directement l’ancrage institutionnel de l’IREP-D au sein de l’université.

 

Jusqu’alors, l’IREP-D est une UER à dominante recherche, directement rattachée à l’université. La loi Savary remplace les UER (unités d’enseignement et de recherche) en tant que cellule de base de l’université par des UFR (unités de formation et de recherche). Ces UFR sont très proches des anciennes facultés. Elles associent et intègrent des activités d’enseignement qui couvrent l’ensemble des trois cycles d’études (premier cycle, second cycle, troisième cycle), et des activités de recherche développées au sein de laboratoires du type de l’IREP-D.

 

Avec la loi Savary, la création de ces UFR s’accompagne  à l’université des sciences sociales de Grenoble d’une pression en vue de la constitution d’un nombre réduit d’UFR par le regroupement de plusieurs anciennes UER. Très concrètement se pose alors, le problème du rattachement de l’IREP-D aux UFR en cours de constitution.

 

Dans ce mouvement de recomposition des UFR, le laboratoire doit résister à la pression de Gérard de Bernis et des économistes de son entourage qui souhaitent absorber l’IREP-D. Un « front commun » se constitue alors qui comprend outre l’IREP-D, l’institut d’urbanisme, des sociologues et l’équipe qu’anime Yves Barel. Les discussions se déroulent dans un contexte où les tensions entre économistes restent très vives qui tiennent à des questions tant personnelles que scientifiques, avec entre autres deux écoles de la régulation qui s’affrontent.

 

Les négociations aboutissent, avec l’appui de la présidence de l’université – à l’époque de la présidence de Bernard Pouillet – à la création d’une nouvelle UFR distincte de l’UFR de sciences économiques : l’UFR DGES (développement, gestion économique et société) résultant en fait de la fusion de trois UER : Institut d’urbanisme, administration économique et sociale, IREP. Bernard Billaudot sera le premier directeur élu de cette nouvelle UFR. L’IREP-D ne sera plus rattaché directement à l’université. Ce sera un département de la nouvelle UFR.

 

La commande d’un « audit » externe

 

La préparation du rapport d’activité de l’IREP-D pour la demande de renouvellement de l’association au CNRS a été l’occasion de faire collectivement un important travail d’auto-évaluation. Il en ressort le constat d’un certain nombre de problèmes qui tiennent à une image trop « floue » d’une institution qui vieillit et qui a des difficultés à se renouveler. En même temps, il apparaît que de nouvelles pistes et de nouvelles opportunités sont à explorer dans la perspective d’un renforcement et d’un renouvellement de l’institut.

 

En juin 1987, Pierre Judet commande un « audit » externe pour bénéficier d’un éclairage et d’avis extérieurs à trois auditeurs : Michel Chatelus (vice président recherche de l’université), Jean-Marie Martin (directeur de recherche au CNRS et un des membres fondateurs de l’institut), Joseph Charrier (secrétaire général du comité d’expansion de la Savoie). L’audit s’achève en octobre 1987. Le rapport qui est présenté à l’assemblée générale de l’IREP-D est assez positif[13]. Il suggère trois axes : i) l’inscription de l’IREP-D dans le nouveau découpage de l’université en UFR, ii) l’adoption de nouvelles structures plus lisibles sur un plan institutionnel, iii) la construction de vraies équipes pédagogiques.

 

A l’automne 1988, la candidature d’Amédée Mollard (qui est alors membre de l’équipe INRA) est acceptée par l’université et le CNRS pour remplacer Pierre Judet à la direction de l’IREPD.

 

 

II. Etape 2 : après le départ de Judet, un nouveau recentrage de l’IREPD et la normalisation de l’institut comme composante de l’UFR DGES et laboratoire associé au CNRS.

 

Les résultats de la période précédente sont positifs. Le rapport d’activité présenté en 1986 reçoit un accueil très favorable de la part du CNRS. En 1988, le premier rapport d’évaluation du CNRS valide et entérine l’association de l’IREP-D au CNRS L’institut est alors bien classé par le CNRS. A la même période, le DEA développement est renouvelé. Il obtient deux allocations de recherche. Amédée Mollard, sera chargé de lancer le processus de restructuration en mettant en œuvre les recommandations de l’audit demandé par Pierre Judet. Plusieurs directeurs vont lui succéder au cours de cette seconde étape qui est une période de stabilisation et de consolidation des initiatives antérieures

21. Un nouveau changement dans l’appellation de l’institut

 

Quand Amédée Mollard devient le nouveau Directeur de l’institut, subsiste le même souci qu’au moment de la restructuration de l’IREP une dizaine d’années plus tôt. Il s’agit de changer d’intitulé en gardant le même sigle et la notoriété qui s’y rattache. Ce qui est en cause, c’est la référence dans l’intitulé à la planification dans un contexte où cette réalité est très fortement remise en cause. La planification ne correspond plus à un domaine qui était central jusqu’à la fin de la première moitié de la décennie 80. Avec l’intégration des personnels hors statut les recherches contractuelles commanditées par les services du plan en France ont fortement été réduites. Dans le même temps, au plan international, la planification n’est plus d’actualité, du fait : d’une part de la crise des économies socialistes et du modèle qui sous tendait leur développement, et d’autre part de la montée du libéralisme et de l’abandon de la planification qui en résulte suite en particulier à la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel dans les pays en développement, en Afrique en particulier.

 

L’IREP-D (institut de recherche économique et de planification du développement) se transforme en IREPD (institut de recherche en économie de la production et du développement). Ce sera le quatrième intitulé depuis l’origine de l’institut qui s’est appellé successivement : l’IES (institut d’études sociales), l’IREP (institut de recherche économique et de planification), l’IREP-D (institut de recherche économique et de planification du développement), puis l’IREPD.

 

22. Le nouvel ancrage institutionnel

 

La loi Savary entre dans les faits au cours de l’année universitaire 1987/1988. L’université des sciences sociales a un nouveau président : Bernard Pouyet. Elle s’appellera un peu plus tard l’université Pierre Mendès France. Elle est composée de 8 UFR dont l’UFR DGES (développement, gestion économique et sociétés) et d’un pôle de recherche important (75 chercheurs au total) auquel se rattache l’IREPD. Le nouvel IREPD se crée au moment où se met en place cette nouvelle UFR DGES. Avec la loi Savary l’IREPD passe ainsi d’un statut d’UER à dominante recherche, au statut de composante de la nouvelle UFR.

 

La nouvelle UFR comprend plusieurs pôles :

 

– un pôle « promotion collective » avec l’institut d’études sociales et le centre départemental de documentation du travail

– un pôle enseignement qui assure des formations de premier, second et troisième cycle

– un important pôle recherche composé de trois départements : l’INRA (qui est devenu indépendant par rapport à l’IREPD), l’institut d’urbanisme, l’IREPD

 

En 2002, sous la pression des autorités de l’université, les deux « deux frères ennemis », l’UFR DGES et l’UFR sciences économiques, fusionnent. En réalité, l’UFR sciences économiques absorbe DGES, ce qu’elle n’avait pas pu faire quelques années plus tôt. La fusion donne naissance à une nouvelle entité, l’UFR ESE (économie stratégie d’entreprise).

 

23. La poursuite du recentrage des activités de recherche de l’institut

 

Les contours du nouvel institut changent à la suite d’un double recentrage : d’une part entre les activités que développe l’institut, et d’autre part au sein même des activités de recherche. L’IREPD se sépare des activités de promotion collective (institut d’études sociales, CDDT) qui sont rattachées directement à la nouvelle UFR DGES, au sein d’un pôle « promotion collective » (cf ci-dessus) Désormais, la seule vocation de l’institut est la recherche et l’accueil de formations de troisième cycle, selon des modes d’organisation qui vont évoluer dans le temps.

 

Les modalités d’organisation de la recherche

 

L’élection de Amédée Mollard à la direction de l’IREPD marque le début d’une période de transition. D’une part, le pôle économie agricole autour du laboratoire INRA, complètement indépendant de l’IREPD, sera rattaché comme l’IREPD au département recherche de l’UFR. D’autre part, les trois équipes de recherche antérieures (l’équipe d’économie du travail, le GRI et le CERCID) sont dissoutes. Elles sont remplacées par sept groupes de recherche (GR) dont le GR 1 : « industrialisation et développement ».

 

Sous la direction de Claude Courlet, le GR reste l’unité de base dans l’organisation des activités de recherche. Leur nombre est réduit à cinq.

 

A partir de 1996, sous la direction de Michel Hollard, une nouvelle configuration de l’institut se met en place. Elle s’organise autour d’un thème central fédérateur : « transformation des organisations productives, mobilité des activités et mondialisation » qui se décline ensuite en six « projets » (cf l’encadré ci-dessous). La structuration de l’institut en équipes est abandonnée. Le « projet » devient la base de l’activité scientifique de l’institut, ce qui entraîne une recomposition du collectif des chercheurs de l’institut, et de nouveaux regroupements entre eux. Un même chercheur peut être associé à plusieurs projets, alors qu’un même projet regroupe des chercheurs qui jusqu’alors étaient membres d’équipes antérieures distinctes. Je suis membre du projet F.

 

 

 

Les projets de recherche pour la période 1999-2002

 

– Projet A : les réponses organisationnelles aux nouvelles conditions de la concurrence

– Projet B : organisation industrielle et stratégie d’internationalisation des firmes

– Projet C : méthodes nouvelles pour l’analyse des organisations productives : expérimentation, simulation

– Projet D : organisation territorialisée des activités

– Projet E : les relations salariales et le rapport salarial

– Projet F : articulation entre système éducatif et système productif.

 

 

L’ouverture et le renforcement de nouvelles problématiques de recherche, en fonction des préoccupations des directeurs successifs de l’institut.

 

Cette ouverture est multiforme. Elle concerne plusieurs champs dont deux sont principaux : le champ de l’économie territoriale et celui de l’économie industrielle. S’agissant du champ de l’économie des territoires, la constitution à la fin des années 80, d’un Groupe de Recherche sur le thème « développement et territoire » que dirige Claude Courlet contribue largement à renouveler les analyses de l’institut en matière d’économie de l’industrialisation et du développement. Cette nouvelle orientation place la dimension territoriale au cœur des dynamiques de développement des systèmes productifs locaux (tant au Nord qu’au Sud) est renforcée. S’agissant du champ de l’économie industrielle, à la même période, la consolidation des préoccupations de recherche de l’institut se réalise autour de deux axes : l’un porte sur l’économie de la production et donc sur l’offre de produits, l’autre concerne la prise en compte des modalités de fonctionnement et des formes d’organisation des marchés et de la concurrence et donc sur la demande de produits.

 

Parallèlement à ces ouvertures, on assiste à une réduction sensible et régulière du potentiel de recherche dans un des domaines de compétence le plus ancien de l’institut, celui de l’économie du développement dans les économies du Sud (cf ci dessous).

 

L’ouverture et le renforcement de nouvelles pratiques de recherche

 

Le recentrage des activités de l’IREPD s’accompagne de la mise en place de nouvelles modalités de coopération tant en interne qu’en externe.

 

En interne, on observe la mise en œuvre d’entrecroisements et d’échanges variés entre les groupes de recherche. Ils sont largement favorisés par la multiplication de séminaires de recherche internes selon des modalités et des appellations qui fluctuent dans le temps : « les séminaires de mars » organisés à partir de 1989 et qui associent trois unités du CNRS (l’IREPD, l’IEPE, CRISTO), les séminaires « du lundi », les séminaires des doctorants, les séminaires du GSIP. Dans cette perspective de densification d’échanges croisés, deux initiatives à l’initiative de Michel Hollard sont majeures. D’abord, en octobre 1995, un groupe de travail formé d’une dizaine de chercheurs, est mis en place pour renforcer ces coopérations en interne autour du thème « entreprise, emploi et mondialisation ». Ensuite, en décembre 1997, un colloque interne est organisé intitulé « Globalisation, spécificités et autonomie : approches économiques ».

 

En externe, au cours de cette période l’IREPD joue un rôle majeur dans la constitution et l’animation de plusieurs groupements scientifiques qui associent des chercheurs spécialisés dans des disciplines différentes aussi bien dans les domaines des sciences sociales que dans ceux des disciplines des sciences de l’ingénieur. Deux sont principaux : le groupe TETRA et le GSIP.

 

 

La constitution de plusieurs groupements

 

L’IREPD participe activement à la création en 1985 du groupe TETRA (Technologie Emploi Travail Rhône Alpes) qui associe plusieurs laboratoires de recherche de la région dont : une équipe d’économistes du travail (ECT) de l’université de Lyon II, une équipe lyonnaise de sociologues du travail du CNRS (le GLYSI), et une équipe d’économistes de l’université de Saint Etienne (le GRESAL). Cette initiative est dans le prolongement de coopérations inter équipes qui ont commencé une dizaine d’années plus tôt dans le champ de l’emploi et du travail.

 

En 1986, sous l’impulsion de Michel Hollard, est crée le GSIP (groupement scientifique interdisciplinaire de productique de Grenoble). Ce groupement de plusieurs laboratoires de recherche de Grenoble, soutenu par le CNRS associe deux départements du CNRS : le département des sciences de l’homme et de la société, et le département des sciences de l’ingénieur. Il bénéficie d’un financement conjoint du CNRS, de l’université scientifique de Grenoble et de l’INPG. C’est un lieu de rencontres entre des chercheurs de disciplines différentes (économistes, automaticiens, sociologues, informaticiens, gestionnaires…) et d’entreprises concernés par le développement de la productique. Le GSIP sera remplacé par l’institut de la production industrielle (IPI) au sein du pôle universitaire européen de Grenoble.

 

 

La création en 1992, en association avec l’ENSGI, d’une « plate-forme d’économie expérimentale » est une initiative particulièrement originale. Les techniques de l’économie expérimentale ont pour objectif de placer les individus dans des situations de décision en mettant à leur disposition des informations contrôlées et reproductibles. Elles permettent notamment de simuler et d’expérimenter les conditions de fonctionnement de différentes formes de marché, en s’appuyant sur les décisions de vrais acteurs et en utilisant le plus souvent un réseau de micro-ordinateurs et de logiciels spécifiques.

 

La fin de l’équipe d’économie du développement

 

A partir du début de la décennie 90, on assiste à un affaiblissement continu du potentiel de chercheurs qui travaillent sur le thème de l’économie du développement. En 1993, Pierre Judet part en retraite. Il ne sera jamais remplacé. A la même période deux « piliers » historiques de l’IREP décèdent : Jean Claude Guégan en avril 1996 et Raphaël Tiberghien en mai 1998. En avril 1998, Raphaël Chaponnière part en Corée, mis à la disposition de la DREE du ministère des affaires étrangères. Il ira ensuite en Turquie toujours pour la DREE, mais ne réintégrera plus à l’IREPD, préférant travailler à l’IRD.

 

Cette situation explique que dans la liste des projets pour la période 1999-2002 (cf. l’encadré ce-avant), le thème de l’économie du développement n’apparaisse plus en tant que tel. Ce thème reste présent dans les préoccupations de l’institut, mais il est abordé dans le cadre de problématiques qui ne lui sont pas spécifiques et qui relèvent par exemple du champ de l’économie industrielle, des ancrages locaux, de l’internationalisation des marchés, de l’économie du travail et de l’emploi.

 

  1. Le renforcement des activités d’enseignement

 

Progressivement la composante enseignement va devenir dominante, tant par l’importance des effectifs concernés par cette activité que par la diversité des enseignements rattachés à l’institut. Elle mobilisera une part croissante des potentiels et des disponibilités de l’institut et en premier lieu les membres de l’institut qui ont un statut d’enseignant. Dans ce contexte trois initiatives sont principales : i) la création d’un nouveau DEA à la suite de la fusion des DEA antérieurs, ii) le lancement du DESS « gestion et dynamisation du développement », iii) la création de l’ENSGI (école nationale supérieure de génie industriel) en association avec l’Institut Polytechnique de Grenoble.

 

La fusion des DEA et la création du DEA-EDIT

 

Au cours de l’année universitaire 1989-1990, les trois DEA rattachés à l’IREP-D fusionnent. Il s’agit du DEA développement, du DEA économie du travail et du DEA économie de l’énergie qui débouche sur la constitution d’une seule formation doctorale : le DEA- EDIT (Economie de l’énergie, du développement, de l’industrie et du travail) en spécialité économie appliquée. La formation comporte : un enseignement théorique commun et quatre options spécialisées dont une option développement dirigée par Claude Courlet et Pierre Judet, dans laquelle j’anime un séminaire sur les politiques publiques de développement. Ce DEA est inséré dans une école doctorale en économie appliquée constituée autour de trois laboratoires d’accueil : l’IREPD, l’IEPE (institut de l’énergie) et le laboratoire d’économie de l’INRA.

 

La participation à trois DESS Parallèlement, à cette date, l’IREPD est partie prenante de trois DESS :

 

  1. i) un DESS « gestion des ressources humaines » qui est organisé depuis le début des années 80,
  2. ii) deux nouveaux DESS à partir de 1990 : le DESS économiste d’entreprise, et le DESS Gestion et dynamisation du développement. Ce DESS est dans le prolongement du DESS planification du développement (voir la partie suivante).

 

 

Le DESS GDD (Gestion et dynamisation du développement)

 

Il accueille des promotions d’environ 25 étudiants de niveau bac+5, titulaires d’une maîtrise en sciences sociales (avec une forte majorité d’économistes). Ils ont été sélectionnés parmi un public d’environ 150 candidats sur la base principalement de leurs motivations et de leurs projets professionnels à l’issue de leur formation. Les promotions sont mixtes entre des étudiants en formation initiale et des étudiants en formation continue.

 

Le DESS GDD a vocation à former des professionnels de niveau supérieur qui interviennent dans les domaines du développement, soit à l’étranger dans les pays du Sud (Afrique, Amérique Latine, Asie) soit en France dans le cadre des institutions et des collectivités locales et territoriales. Outre des enseignements généraux sur l’économie du développement, une partie importante de la formation porte sur la gestion et le pilotage des projets de développement. Les étudiants doivent obligatoirement effectuer un stage de trois mois minimum sur le terrain soit en France soit surtout à l’étranger. (A la fin des années 90, les étudiants des différentes promotions avaient effectué un stage dans plus de 70 pays différents du Sud, majoritairement en Afrique).

 

Les interventions des professionnels non universitaires sont multiformes. En particulier, chaque année un spécialiste de renommée internationale est sollicité pour parrainer la promotion des nouveaux étudiants et prononcer le cours d’ouverture de la promotion.

 

Autre originalité : la constitution et l’animation d’un réseau des DESS africains du développement local regroupant huit universités africaines de sept pays différents d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Est et de l’Afrique sub-saharienne et de l’Ouest, visant à renforcer les capacités de ces universités africaines à mettre en place un DESS dans le domaine du développement local.

 

 

La création de l’ENSGI (école nationale supérieure de génie industriel), (voir la partie suivante)

 

Plusieurs chercheurs de l’IREPD (autour en particulier Michel Hollard) ont été impliqués dans l’ingénierie et le montage de cette école qui associe l’université des sciences sociales de Grenoble et l’INPG (institut national polytechnique de Grenoble). L’ouverture effective de l’école a lieu à la rentrée universitaire 1990-1991. Après 1992, l’IREPD deviendra laboratoire d’accueil avec l’ENSGI du DEA génie industriel.

 

25. L’évolution des effectifs

 

Au cours de cette période, un évènement majeur se produit : la fin des hors statut. A partir de 1998, plus aucun salaire ne sera payé sur ressource contractuelle. Tout au plus, les activités contractuelles sont maintenues dans la mesure où les subventions publiques du ministère de l’éducation nationale et du CNRS ne couvrent qu’environ 25% des dépenses de fonctionnement général. Elles seront en tous les cas moins contraignantes qu’au cours des périodes précédentes. Subsiste cependant l’hétérogénéité des statuts.

 

Au sommet de la courbe des effectifs de l’institut, dans la première moitié de la décennie 70, nous sommes 82 enseignants-chercheurs permanents. En octobre 1983, ces effectifs ont été réduits de près de la moitié : 43 enseignants chercheurs permanents. Après le départ de l’INRA au moment de la création de l’IREPD nouvelle formule, nous ne serons plus qu’une trentaine.

 

 

IREPD. Evolution des effectifs d’enseignants chercheurs permanents

 

   

1986

 

 

1990

 

1994

 

1996

 

1998

Ed nationale

CNRS

INRA

ORSTOM

17

13

10

17

12

1

19

14

19

11

1

21

9

1

 

TOTAL

 

 

40

 

30

 

33

 

31

 

31

Source : rapports scientifique

Comme en témoigne le tableau ci-dessus, à partir de ce moment là et jusqu’à la fin de l’IREPD en 2003, les effectifs enseignant chercheurs resteront stables, autour de la trentaine, alors que le nombre de personnels techniques et administratifs ne cesseront de décroître passant de 18 en 1986 à 10 en 1996, à 6 en 2003.

 

 

Au cours de ces années, une contradiction est de plus en plus en forte. Nous sommes associés au CNRS mais les effectifs CNRS ne cessent de décroître (la tendance sera renforcée après 1998). Pendant toute la décennie 90, un seul poste de chercheur CNRS a été crée pour le renforcement du Centre-Asie que dirige Pierre Judet. Aucun candidat de l’institut n’a réussi un concours pour entrer au CNRS. Deux candidats de l’institut ont été reçus à l’ORSTOM, mais ils ont été intégrés dans un autre laboratoire.

 

A partir de la seconde moitié de la décennie 80 le non renouvellement des personnels permanents conduit à un vieillissement relatif des effectifs. L’âge moyen passe de 43,5 ans en 1986 à 47,2 ans en 1994. Par contre, la courbe s’inverse à partir de la fin des années 90 à la suite du recrutement de plusieurs maîtres de conférence qui effectuent leur service de recherche au sein de l’IREPD. L’accueil de doctorants et de post-doctorant (10 doctorants en 1986, 11 en 1996 auxquels s’ajoutent 5 post doctorants) va dans le même sens d’un renouvellement du potentiel de recherche de l’institut. Toutefois, comme le signale le « rapport scientifique » de juin 1998 qui dresse le bilan de la période 1994-1998, « cette évolution n’est pas de nature à contrecarrer  l’affaiblissement notable du potentiel en matière d’économie du développement » (cf ci devant). En outre il convient de rappeler que les personnels permanents sur un poste d’enseignant ont des charges d’enseignement de plus en plus lourdes en liaison en particulier avec le développement des formations professionnalisantes (licence, DESS, IUP ingénierie économique… ) qui réduisent d’autant leur temps disponible pour la recherche.

 

III. Dernière étape : la fin de l’IREPD après l’élection de Bernard Billaudot comme Directeur

 

  1. L’élection de Bernard Billaudot à la direction de l’IREPD

 

Michel Hollard quitte la direction de l’IREPD en janvier 1999. Pour le remplacer, on a le choix entre deux candidats : Jean Jacques Chanaron qui est chargé de recherche au CNRS et Bernard Billaudot qui est professeur associé à l’université et qui a été le premier Directeur de la nouvelle UFR DGES. A une voix près, Bernard Billaudot est élu.

 

Son élection marquera un net changement dans le fonctionnement de l’institut. A partir de cette date – au moins en ce qui me concerne – l’institut ne sera plus ce qu’il avait toujours été depuis son origine sous différentes appellations : un collectif solidaire.

32. Le remplacement de Bernard Billaudot par Yves Saillard : la naissance du LEPII

 

En 2002, Bernard Billaudot est remplacé par Yves Saillard. Ce dernier hérite d’une situation très défavorable. L’IREPD est une unité mixte de recherche sous la double tutelle de l’université et du CNRS. L’avenir du laboratoire est au centre d’enjeux complexes et contradictoires. A la session d’automne 2002 du CNRS, l’IREPD est mal classé, au dernier rang du classement. Il est mis en restructuration avec une injonction forte de se regrouper avec une autre UMR de l’université Pierre Mendès France : l’IEPE (institut économique et politique de l’énergie). Conjointement, au niveau de l’université, la restructuration s’opère dans un contexte de recomposition visant la constitution d’un pôle fort en économie. Dans cette perspective, en matière d’enseignement, sous l’impulsion de la présidence de l’université, les deux UFR sciences économiques et DGES fusionnent pour donner naissance à une nouvelle UFR ESE (économie, stratégie d’entreprise). L’université entend bien prolonger ce regroupement en matière de recherche.

 

Le Ier janvier 2003, marque la naissance du LEPII (laboratoire d’économie de la production et de l’intégration internationale) qui regroupe une partie des chercheurs de l’IREPD, les chercheurs de l’IEPE et des économistes de la nouvelle UFR ESE. Cette naissance marque en même temps la disparition définitive de l’IREPD. Ce sera le mérite de Yves Saillard d’associer l’ensemble des personnels du nouvel institut à sa redynamisation.

 

 

[1] Sur De Bernis, cf le très bel hommage que lui rend Christian Palloix dans son blog christianpalloix.wordpress « Un économiste hétérodoxe, fondateur, passeur et « grand angle »

[2] Ces assemblées générales qui étaient fréquentes, parfois longues et houleuses, étaient convoquées souvent à 18h ou le samedi matin ou encore à Crolles au Foyer d’Education Populaire créé par Paul Jargot. Elles débattaient et votaient les grandes orientations de recherche et de formation.

[3] Dans cette perspective, le CNEEJA travaille surtout avec la FNSEA et le CNJA, mais de préférence avec l’IFOCAP, les coopératives agricoles « de gauche », les leaders paysans du Grand’Ouest et du Finistère autour en particulier de B. Lambert, et de G. Miossec.

 

[4] Aux élections municipales de 1977, Christine Beauviala est élue à la Mairie de Grenoble, dans la dernière équipe municipale menée par H.Dubedout, où elle est déléguée à l’emploi (ce qui correspond à un mi-temps

 

[5]  Au départ, de Bernis avait proposé la candidature de Pierre Boisgontier pour être le premier directeur du CDDT. Cette candidatue a été immédiatement rejetée par la CGT et le PCF, en conflits ouverts et souvent violents avec lui, en tant que leader de l’extrême gauche à Grenoble

[6] Jean Louis Quermonne deviendra plus tard, Directeur des enseignements supérieurs au Ministère de l’enseignent supérieur. Il en démissionnera en 1976, ne pouvant s’entendre avec son ministre de l’époque. Quant à Jacques Freyssinet, il quittera Grenoble à la fin de la décennie 70 pour remplacer Marcel David à la direction de l’Institut Supérieur des Sciences du Travail de Sceaux (qui fédère au niveau national, les instituts régionaux du travail). Après 1981, il sera nommé pour quelques temps Président du Conseil d’Administration de l’ANPE.

[7]  Quelques années plus tard Gérard de Bernis persiste et signe. Aux élections municipales de 1971, Gérard de Bernis est le numéro 2 de la liste communiste emmenée par Jean Giard, contre la liste de Dubedout où c’est Verlhac qui est le numéro 2. Mais à ce moment là, Gérard de Bernis n’est plus directeur de l’IREP.

[8] Ce contenu de cette note d’information est tirée d’une note d’Amédée Mollard en date du 18 février 2011 « G de Bernis et la recherche : un engagement de société ». Pour ma part, j’étais coopérant en Algérie à cette époque

 

[9]  Dans une lettre à sa fille, le père de Jan Dessau  raconte l’extraordinaire chance qu’a eu son frère de n’avoir pas été fusillé par les allemands. « Lettre du père de Jan à sa sœur », in « Jan Dessau : textes »

[10] Jan Dessau, « Centralisation ou décentralisation des centres de recherche : une expérience de dix années », in « Jan Dessau-textes »

[11]  C’est à cette période que le CNRS pour des raisons qu’il est facile d’imaginer demande en vain à l’ADR de ne plus payer Pierre Boisgontier, ce qui ne pouvait que simplifier les choses !

[12] Outre ces activités au quotidien, un montage audiovisuel à partir de diapositives est réalisé, sur le contenu des nouveaux droits en matière de formation continue. C’est un document militant au service des organisations syndicales et réalisé avec elles. Ce montage recevra un très bon écho au plan local, au niveau des UD en particulier, et au plan national. « Le Monde » consacrera un article assez élogieux sur ce montage audiovisuel et sur l’opération cinq entreprises

[13] Comme le rappelle Pierre Judet, le bon classement de l’IREP au CNRS, a suscité des « regrets » chez certains qui auraient préféré un désaveu pour l’IREP…et pour lui.

9 février 2017

Mes activités professionnelles à l’international

Par André Rosanvallon, février 2017

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Pendant toute ma vie professionnelle, j’ai eu de multiples activités au niveau international, d’une part comme enseignant-chercheur à l’université de Grenoble, et d’autre part comme coopérant d’abord dans le cadre de la coopération bilatérale française en Algérie, puis dans le cadre de la coopération multilatérale comme expert et consultant du BIT dans une quinzaine de pays africains francophones.

Chapitre I – Mes activités à l’international comme enseignant chercheur

A partir de la décennie 90, mes activités d’enseignant-chercheur à l’international deviennent principales pour devenir exclusives à la fin du dernier millénaire, avec un souci permanent de les mener de manière intégrée et d’organiser leur complémentarité. Trois activités seront principales : i) la direction d’un nouveau DESS spécialisé dans le développement, à partir de la rentrée universitaire 1991-1992, ii) des activités de recherche, et iii) le lancement et l’animation d’une cellule de coopération avec les universités du Sud (Afrique, Amérique Latine, Asie) à la demande du Président de mon université.

 1. Directeur du DESS Gestion et Dynamisation du Développement (GDD).

 A la fin de la décennie 80, nous sommes plusieurs chercheurs de l’IREP-D, membres du même groupe de recherche sur le développement, à intervenir dans plusieurs pays en développement  à l’occasion de missions d’expertise pour le compte de l’ONUDI ou/et de la CNUCED ou du BIT. Nous proposons de lancer un DESS sur le développement en complément du DEA – développement qui existe depuis plusieurs années et qu’anime Pierre Judet.

 11. Le DESS GDD « gestion et dynamisation du développement »

Début 1990, nous obtenons l’habilitation du ministère pour organiser une nouvelle formation professionnalisante de troisième cycle : le DESS sur « les métiers de la planification du développement ». Je suis chargé de lancer et d’animer ce DESS. La séance d’ouverture de ce nouveau DESS est présidée par la Ministre française de la coopération, Madame Edwidge Avice.

L’habilitation du DESS est renouvelée en 1995. Les objectifs et le contenu de la formation restent les mêmes. Mais l’intitulé ne fait plus référence aux métiers de la planification. Il est plus large. Le DESS s’intitule désormais « gestion et dynamisation du développement ». Je reste co-directeur du DESS. L’habilitation du DESS « gestion et dynamisation du développement » sera de nouveau renouvelée pour quatre années à partir du mois de septembre 1999.

Les caractéristiques du DESS GDD (gestion et dynamisation du développement)

Le DESS GDD accueille des promotions d’environ 25 étudiants de niveau bac+5, titulaires d’une maîtrise en sciences sociales (avec une forte majorité d’économistes). Ils ont été sélectionnés parmi un public d’environ 150 candidats sur la base principalement de leurs motivations et de leurs projets professionnels à l’issue de leur formation. Les promotions sont mixtes entre des étudiants en formation initiale et des étudiants en formation continue.

Le DESS GDD a vocation à former des professionnels de niveau supérieur qui interviennent dans les domaines du développement, soit à l’étranger dans les pays du Sud (Afrique, Amérique Latine, Asie) soit en France dans le cadre des institutions et des collectivités locales et territoriales. Outre des enseignements généraux sur l’économie du développement, une partie importante de la formation porte sur la gestion et le pilotage des projets de développement. Les étudiants doivent obligatoirement effectuer un stage de trois mois minimum sur le terrain soit en France soit surtout à l’étranger. (A la fin des années 90, les étudiants des différentes promotions avaient effectué un stage dans plus de 70 pays différents du Sud, majoritairement en Afrique).

Les interventions des professionnels non universitaires sont multiformes : certains participent aux jury de sélection des candidates, beaucoup animent des séminaires spécialisés dans leurs domaines de compétence. Une implication est plus originale. Chaque année on sollicite un spécialiste de renommée pour parrainer la promotion des nouveaux étudiants et prononcer le cours d’ouverture de la promotion. La qualité des principaux « parrains » des différentes promotions témoigne de la reconnaissance dont a bénéficié le DESS par les professionnels du développement.

Les principaux « parrains » du DESS GDD

Richard Adjaho (Ambassadeur du Bénin en France), Edwige Avice (Ministre français de la coopération), Jacques Giri (Consultant international), Jean Louis Guigou (Délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), Bernard Lecomte (Directeur d’une ONG d’aide au développement, le GRAD), Serge Michailof (Directeur adjoint de l’Agence Française de Développement), Marie Nowack (Directrice de l’ADIE, Association pour le développement des initiatives économiques, une des premières associations françaises spécialisée dans le micro-crédit), Rubens Ricupero (Secrétaire général de la CNUCED), Amartya Sen (prix Nobel d’économie), Tremeaud (Directeur adjoint du BIT).

Au moment où je pars en retraite, une nouvelle réforme des universités se met en place : la réforme LMD (licence en trois ans, maîtrise en deux ans, doctorat en trois ans). Le DESS fait l’objet de puissantes manœuvres de récupération de la part en particulier de certains professeurs d’économie, auxquelles je ne cesse de m’opposer pour des questions de déontologie, sans vouloir m’engager dans une réforme que je n’aurai pas à mettre en œuvre. Le DESS GDD devient une spécialité professionnelle en deuxième année du master « sciences des territoires » doublement rattaché à l’Université des sciences sociales et à l’Université scientifique et médicale, sous l’appellation « Outil de gestion et de dynamisation des territoires » (OGDDT).

12. A partir de l’expérience du DESS GDD, j’assure le lancement et l’animation du réseau des DESS africains du développement local

L’option de départ se résume de la manière suivante : plutôt que de former à Grenoble des étudiants africains en dehors de leur contexte (et dont on n’est pas sûr qu’ils rentreront dans leur pays à la fin de leur étude), il est préférable de renforcer les capacités des universités africaines pour que les étudiants puissent être formés sur place. C’est dans cette perspective que notre université va appuyer la mise en place d’un réseau, regroupant huit universités africaines de sept pays différents d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Est et de l’Afrique sub-saharienne et de l’Ouest. Ce réseau se constituera en plusieurs étapes, dans le prolongement d’un premier DESS à l’université d’Abidjan en Côte d’Ivoire.

La création du premier DESS à Abidjan, est dans le prolongement direct d’une recherche en Côte d’Ivoire financée par le ministère français de la coopération et que j’ai dirigée. Son ouverture officielle à laquelle je participe comme représentant du Président de l’université de Grenoble a lieu en novembre 1998. Le lancement du second DESS ivoirien à l’université de Bouaké, aura lieu en novembre 2000. Suivront ensuite plusieurs autres DESS : au Bénin et à Madagascar en 2001 ; au Burkina-Faso et en Algérie en 2002 ; au Maroc en 2003 et au Mali en 2004.

 Le réseau des DESS africains de développement local

 

Pays, université partenaire

 

Intitulé de la formation
ALGERIE

Université de Constantine

 

– PGS gestion des collectivités locales et développement

BENIN

Université de Cotonou

 

– DESS développement local et gestion des projets

BURKINA-FASO

Université de Ouagadougou

 

– DESS espaces et développement

COTE D’IVOIRE

Université d’Abidjan

Université de Bouaké

 

– DESS économie du travail et des ressources humaines

– DESS régionalisation et métiers du développement local

MADAGASCAR

Université d’Antananarivo

 

– DESS développement local et gestion des projets

MALI

Université de Bamako

 

– DESS métiers du développement local

MAROC

Université de Rabat Agdal

 

– Master professionnalisant économie des territoires

La mise en œuvre de ce réseau s’inscrit dans une triple volonté :

  • d’initier de nouvelles modalités de coopérations interuniversitaires entre l’université de Grenoble et plusieurs universités africaines partenaires, dans la perspective d’un renforcement de leurs capacités à professionnaliser les formations qu’elles assurent au niveau des troisièmes cycles,
  • d’initier de nouvelles modalités de coopération Sud-Sud entre plusieurs universités africaines organisées en réseau pour un échange de compétences et d’expériences entre elles,
  • d’accompagner les programmes de décentralisation en Afrique en aidant les universités africaines à former les compétences nécessaires.

Dès le départ, le réseau bénéficie de l’expérience acquise à Grenoble dans le cadre du DESS « gestion et dynamisation du développement ». Il bénéficie par ailleurs de plusieurs sources de financement de la part : i) des ambassades de France en Algérie, à Madagascar et en Côte d’Ivoire, ii) de la coopération décentralisée de la région Rhône-Alpes dans le cadre des contrats annuels de développement entre l’université Pierre Mendès France et la région, iii) de la coopération décentralisée de la ville de Grenoble avec les villes de Constantine et de Ouagadougou, iv) du Haut Collège International des Experts (HCIE) qui est une institution de solidarité internationale qui a son siège social à Genève, et qui a vocation à participer au transfert des capacités d’expertise des membres qui le composent en direction des pays en développement.

Dans le cadre du pilotage et de l’animation du réseau,  j’ai eu à organiser :

  • deux réunions du réseau à Grenoble dont une première en juin 2002 pour un premier échange d’expérience entre les partenaires universitaires impliqués et une seconde en octobre 2004 dans le but de procéder à une évaluation des premiers impacts du réseau,
  • une autre à Constantine à l’occasion du colloque co-organisé en avril 2003 par l’université Mantouri de Constantine et l’université Pierre Mendès France de Grenoble sur le thème « Gouvernance locale et développement territorial : les cas des pays du Sud » dont les actes ont été publiés aux éditions L’Harmattan en 2004,
  • la conception et la mise en place d’une plateforme informatique « Kanari » pour échanger en ligne le contenu des cours organisés dans les différentes formations du réseau.

2. Mes activités de recherche à l’international

Centrées dans le même champ des relations emploi-formation, mes recherches à l’international prolongent et complètent celles que je mène au plan français, en les inscrivant dans une problématique nouvelle : celle des relations Nord-Sud. Dans tous les cas, ces recherches reposent sur des enquêtes de terrain que j’effectue, soit à l’occasion des missions de consultation que je réalise pour le BIT en particulier, soit dans le cadre de programmes de recherche financés par les pouvoirs publics français (en particulier avec le ministère de l’industrie et de la recherche, et avec le ministère de la coopération).

Deux thèmes sont principaux : les transferts de technologie Nord-Sud d’une part, les nouveaux ajustements entre l’emploi et la formation en Afrique d’autre part.

21. Mes recherches sur le thème des « transferts de technologie Nord-Sud »

La problématique qui est la mienne porte sur la place et les modalités des transferts des connaissances et des savoir-faire dans les processus de maîtrise et de transfert technologique. Comment les entreprises qui en France ont tendance à sous estimer le rôle des qualifications ouvrières peuvent elles intégrer cette composante dans leurs transferts à l’étranger ?

Sur ce thème, une opportunité de contrat se présente par chance au cours des années 1983-1984. A la demande du ministère de l’industrie de l’époque, nous sommes chargés d’une recherche sur les pratiques des entreprises françaises en matière de transfert de savoir-faire dans leurs transferts technologiques à l’étranger. La recherche consiste à réaliser différentes monographies à partir de plusieurs études de cas de transfert dont : celui de « Renault Véhicule Industrie » en Algérie au complexe de Rouïba près d’Alger ; celui du groupe « Renault » en Colombie ; celui du groupe « Péchiney » au Cameroun près de Douala ; celui d’un groupe textile des Vosges en Côte d’Ivoire.

Pour ma part, dans le cadre de ce contrat, j’effectue deux missions de recherche dans trois pays différents : une en Colombie à Bogota, où le groupe Renault a procédé au transfert d’une unité de montage de la R 12, deux autres en Afrique. En Côte d’Ivoire, nous étudions les modalités de transfert au sein d’un groupe textile français d’une unité de filage de coton au nord ouest d’Abidjan. Au Cameroun, la recherche porte sur les modalités d’un transfert « clé-en-main » dans le cadre du complexe d’extraction d’alumine que possède le groupe Péchiney, dans « une base » à une centaine de kilomètres à l’Ouest du grand port de Douala

22. Mes recherches sur le thème des « nouveaux ajustements dans la relation emploi-formation en Afrique ».

Sur ce thème, en 1993, je mène une première recherche au Bénin avec un collègue béninois de l’Université de Cotonou, Thomas Houedete, sur l’impact des « programmes d’ajustement structurel » dans le domaine de l’emploi, à l’occasion de plusieurs missions d’expertise que je réalise dans ce pays à cette époque, pour le PNUD (programme des nations unies pour le développement).

Quelques années plus tard, nous obtenons un financement du ministère français de la coopération dans le cadre d’un programme CAMPUS pour mener une recherche en Côte d’Ivoire sur le même thème. J’anime et pilote cette recherche entre 1995 et 1997. Elle associe du côté ivoirien une équipe de recherche de l’université d’Abidjan et des professionnels ivoiriens, et donnera lieu à plusieurs missions de ma part à Abidjan.

3. Chargé de mission, animateur de la cellule de coopération universitaire Nord-Sud au sein de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble

Au début 1990, je suis nommé Chargé de mission par le Président de l’université, dans le but de lancer une cellule de coopération universitaire Nord/Sud, rattachée à la Vice Présidence internationale de l’université. Je serai responsable pendant 13 ans, à la demande des présidents successifs de l’université de Grenoble, de la gestion et de l’animation de cette cellule autour de quatre axes privilégiés. A travers cette cellule de coopération universitaire Nord/Sud, il s’agissait :

  • a) premièrement, de passer d’une coopération basée sur des initiatives individuelles et ponctuelles à une coopération institutionnelle visant un renforcement des universités partenaires du Sud. Dans ce cadre, est retenu comme prioritaire, l’établissement d’accords de coopération d’université à université, ce qui se concrétisera dans le cadre du réseau africain des DESS de développement.
  • b) deuxièmement, de mieux coordonner en interne les actions que développaient les différentes composantes de l’université en matière de coopération technique. Dans cette perspective, chaque année, je rédige et publie un bilan de ces actions. Périodiquement, j’anime des rencontres d’échanges et de concertation par pays entre les différentes composantes de l’université.
  • c) troisièmement, de mieux informer nos partenaires extérieurs et de donner plus de lisibilité à nos interventions dans ce domaine. A ce titre, je représenterai le Président de l’université Mendès France à l’assemblée générale de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) qui se tient au printemps 1993 au Liban.
  • d) quatrièmement, de mieux insérer les actions que nous menions, dans des réseaux d’acteurs et d’institutions de coopération technique non universitaire, soit en matière de recherche de financement (avec l’Union Européenne, le ministère de la coopération et la région Rhône Alpes), soit surtout en matière de coopération décentralisée avec les collectivités locales. A ce titre, à partir de 1994, l’université de Grenoble, par l’intermédiaire de sa cellule de coopération, sera parmi les premiers acteurs régionaux à l’origine de RESACOOP (qui met en réseau tous les acteurs régionaux – les collectivités locales et territoriales, les ONG – impliqués dans des actions de coopération avec des régions du Sud). La cellule de coopération sera par ailleurs à l’origine d’un partenariat privilégié entre notre université et la ville de Grenoble dans le cadre des coopérations que cette dernière poursuit avec les villes de Constantine et de Ouagadougou.

Début 1991, le ministère français de la coopération et l’agence universitaire de la francophonie (qui regroupe toutes les universités francophones du Nord et du Sud) confient à notre université, l’organisation d’un colloque international à l’occasion du quatrième Sommet des chefs d’état et de gouvernement de langue française. Il a pour thème « démocratisation, économie et développement : le rôle de l’université ». La cellule de coopération Nord-Sud, est chargée de la préparation du colloque dont l’ouverture a lieu en novembre 1991. Il est ouvert par la Ministre française de la coopération, Madame Edwidge Avice (membre du gouvernement Beregovoy, et élue député PS de l’Isère), en présence d’un grand nombre de ministres africains de l’enseignement supérieur. Par ce colloque qui sert de caisse de résonance au niveau de l’ensemble universitaire de l’espace francophone, l’université de Grenoble retrouve sa place (historique !) de leader en matière de coopération technique. Il conforte ma motivation à m’investir dans ce domaine de la coopération technique.

Quelques années plus tard, nous organisons à l’IREPD, un autre colloque en hommage à Pierre Judet sur le thème « Dynamisation industrielle et nouveaux développement ». Ce colloque réunit un grand nombre d’anciens étudiants étrangers de Pierre Judet (des africains bien sûr, mais aussi des coréens, des latino américains) ; un ancien Ministre (Liassine, ancien Ministre algérien de l’industrie) et un futur Ministre (Afif Chelbi, futur Ministre tunisien du pétrole)  avec lesquels Pierre Judet a travaillé ; des responsables d’ONG françaises et étrangères ; des professeurs d’université français et étrangers spécialistes de l’économie du développement. Il est l’occasion de chaleureuses retrouvailles et d’une réelle prise de conscience sur l’urgence qu’il y avait à relancer la coopération inter universitaire entre le Nord et le Sud pour poursuivre l’œuvre de Pierre Judet.

Chapitre II – Mes activités à l’international comme coopérant

Dans ce domaine, mes activités seront aussi multiformes, à l’occasion de deux séjours de longue durée en Algérie et à Madagascar, suivis d’un grand nombre de missions de consultations en Afrique francophone.

1. Dans le cadre de la coopération bilatérale française en Algérie

C’est en Algérie que commence ma carrière internationale. Juste à la fin des événements de 68 en France, je pars comme VSNA (volontaire du service national actif), autrement dit coopérant « militaire » en Algérie où nous séjournerons deux ans ; d’abord comme coopérant technique au Ministère de l’agriculture, puis comme coopérant culturel à l’Institut d’Etudes Politiques d’Alger. Ma mission est dans le prolongement direct de mes domaines d’activité précédents à l’université de Grenoble

11. Coopérant militaire au ministère de l’agriculture et de la réforma agraire

Officiellement, mon livret militaire précise qu’à partir du 15 juillet 1968 je suis « attaché d’administration auprès de la direction des statistiques, de la planification et des projets du ministère de l’agriculture et de la réforme agraire ». Au sein de cette direction, je suis chargé plus précisément des études et des statistiques sur l’emploi dans l’agriculture.

11.1. La direction des statistiques, de la planification et des projets

C’est dans ce contexte que s’inscrit ma mission au sein de la direction des statistiques au sein du ministère de l’agriculture et de la réforme agraire. Monsieur Boukli en est le directeur avant qu’il ne devienne pendant mon séjour secrétaire général du ministère de l’agriculture (et en réalité le ministre de fait). Il sera alors remplacé par Monsieur Nadir, ingénieur agronome qui deviendra plus tard fonctionnaire de la FAO à Rome.

Le personnel technique de la direction est quasi exclusivement français. Quand j’intègre le service, les algériens sont très minoritaires. Ils occupent les fonctions de secrétariat, de dactylographie, à l’exception de deux techniciens supérieurs statisticiens.  Les coopérants français sont majoritaires, soit en tant que coopérants civils, soit surtout en tant que coopérants militaires (au nombre de 6 ou 7 en moyenne)

11.2. Mes travaux au ministère de l’agriculture

Je suis donc chargé des problèmes d’emploi dans l’agriculture. Dans ce domaine, en matière d’études et des statistiques, tout ou presque est à construire. Quelques données sont disponibles mais il faut les organiser et les compléter pour les rendre opérationnelles. A l’époque deux chantiers sont prioritaires : d’une part la préparation du premier plan quadriennal 1970-1973, d’autre part la mise en place d’institutions de formation professionnelle agricole. C’est dans le cadre de ces deux priorités que vont s’inscrire mes travaux comme coopérant.

Premièrement, je suis chargé de plusieurs études de diagnostic sur la situation de l’emploi dans le secteur agricole autogéré, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Pour ce faire, j’exploite les données que collecte la Banque Nationale Agricole auprès des domaines autogérés et qu’elle centralise que je complète par des enquêtes directes et des investigations sur le terrain. C’est ainsi que, peu de mois après mon arrivée au ministère, je suis amené à enquêter et à me déplacer dans toutes willayas (l’équivalent des départements) du nord de l’Algérie : d’Annaba à Tlemcen.

Deuxièmement, dans le cadre de la préparation du plan, je suis chargé de réaliser des études sur les perspectives d’évolution du sous emploi saisonnier et du chômage déguisé dans l’agriculture autogéré, en relation avec les stratégies de développement de ce secteur prévues dans le futur plan quadriennal. Le travail consiste en particulier à comparer les temps de travaux disponibles aux temps de travaux nécessaires en fonction des changements envisagés dans les plans de culture des domaines autogérés.

Enfin dans les derniers mois de ma mission, je suis associé à la création du futur institut technologique d’agronomie de Mostaganem. Ce projet est doublement emblématique. Il témoigne de la volonté des autorités nationales de rattraper les retards en matière de formation dans l’agriculture en privilégiant le recours aux technologies pédagogiques les plus avancées sous la forme d’enseignements à distance en coopération avec les centres d’excellence étrangers de formation en agronomie. Il témoigne aussi d’une volonté de rupture avec la période coloniale, dans la mesure où il s’agit de reconvertir une ancienne caserne de l’armée française en futur centre de formation des cadres de la nouvelle agriculture.

12. Coopérant culturel à l’institut d’études politiques d’Alger (octobre 1969-octobre 1970)

A la fin de cette première période, je passe du statut de coopérant technique militaire à un statut de coopérant civil culturel en devenant assistant à l’institut d’études politiques d’Alger.

12.1. Le motif du prolongement de mon séjour : la préparation de ma thèse

La préparation de ma thèse est une histoire qui durera plusieurs années. Tout commence en 1967. Dans le cadre de mes activités à l’IES comme directeur du CDDT, je réalise une étude sur l’emploi des travailleurs étrangers dans l’Isère. Je pars ensuite en Algérie. Au ministère de l’agriculture, je travaille à la préparation du premier plan quadriennal de l’agriculture, chargé de la composante emploi dans l’agriculture (cf ci-dessus).

Pendant que je travaille au ministère de l’agriculture, Pierre Judet me présente à son copain Jobic Kerlan. Quelle personnalité ! Pendant la guerre d’Algérie , prêtre de la Mission de France à Souk Ahras, en plein dans les Aurés, il prend très tôt position pour le FLN, avec les autres prêtres de sa paroisse. Le 14 avril  1956, toute l’équipe de prêtres est expulsée d’Algérie par les autorités militaires françaises. A l’indépendance, Jobic Kerlan y revient. Il travaille d’abord au port d’Alger, puis au ministère du travail à Alger. Dès notre première rencontre, je lui fais part d’un hypothétique projet de thèse sur les travailleurs algériens en France. Il est intéressé par ce thème et me présente à Yahia Briki qui est Directeur de la direction du travail et de l’emploi au ministère du travail et des affaires sociales, affreusement torturé pendant la guerre par l’armée française (il en a perdu l’usage de son bras droit) en tant que membre influent du Parti Communiste Algérien. Ce dernier m’incite à me lancer dans une thèse qui porterait non sur l’immigration algérienne en France mais sur l’émigration en Algérie. Ce sujet intéresse d’autant plus les autorités algériennes, qu’à l’époque aucune recherche n’a été menée sur ce thème. Il est prêt à faire le maximum pour m’aider.

Convaincu, je décide de prolonger d’un an mon séjour à Alger pour pouvoir concrétiser mon projet. Entre temps, Yahia Briki, est devenu Secrétaire Général du ministère du travail et des affaires sociales. Il me signe une lettre de mission dans laquelle il précise parlant de moi que « les responsables des services extérieurs du ministère sont priés de lui faciliter la tâche en l’aidant éventuellement dans ses déplacements au cours des enquêtes qu’il devra mener et en mettant à sa disposition la documentation concernant l’émigration ».

Effectivement je ferai beaucoup d’enquêtes sur le terrain, en particulier en Kabylie, dans les Aurès et dans l’Ouarsenis, qui sont les grandes zones de départ des émigrés algériens vers l’Europe et la France en particulier. J’ai accès à toutes les archives du ministère du travail. Surtout, toute l’année, les étudiants de l’institut d’études politiques m’aident beaucoup, bénévolement, pour mener mes investigations de terrain. En particulier, pendant les vacances, je les rencontre dans leurs milieux d’origine. Ils me mettent en contact avec la population de leurs villages pour que je puisse collecter directement les informations dont j’ai besoin et qui portent tant sur les conditions et les mécanismes de leur départ que sur les conséquences de leur séjour à l’étranger. Ce seront des moments très chaleureux avec des populations d’une grande générosité alors que quelques années plus tôt, elles subissaient les tortures et les violences particulièrement meurtrières de l’armée française. Ce seront aussi de grands moments de convivialité avec les notables et les familles des étudiants, heureux d’accueillir le « professeur français » de leurs enfants. Les discussions sont très franches et très intéressantes. Elles me permettent de collecter des informations de terrain originales qui seront essentielles pour ma thèse. La rédaction de ces souvenirs me donne l’occasion de tous les remercier avec le maximum de sincérité pour leur aide et leur appui.

Parallèlement, j’aurai un soutien total et permanent des cadres du ministère du travail tant au niveau central (je ferai plusieurs voyages en Kabylie avec Monsieur Hamouthène directeur de l’émigration au ministère) qu’au niveau des willaya. Je me souviens encore de cette journée dans l’Ouarsenis où les représentants du ministère m’avaient invité à participer à la sélection des candidats à l’émigration. Il s’agissait en fait d’une pré sélection pour éliminer tous ceux qui n’avaient aucune chance d’être retenus par les recruteurs français. Beaucoup d’entre eux avaient fait un long déplacement et avaient passé la nuit à attendre devant les bureaux de l’administration pour être les premiers reçus.

Avant de rentrer en France, je rédige un rapport pour le BIT sur l’émigration algérienne dans le cadre d’un projet sur la planification des ressources humaines en Algérie. Ce sera ma première collaboration contractuelle avec le BIT.

12.2. Assistant à l’institut d’études politiques d’Alger

Le bâtiment qui abrite l’institut est au centre d’Alger, rue Ben M’Hedi Larbi. Il est situé près du siège social du FLN et de la statue d’Abdel Khader sur son cheval que certains algérois tournent en dérision, constatant qu’il regarde droit devant lui en direction du port avec l’espoir de pouvoir s’échapper vers la France alors que son cheval montre son c.. au parti !.

L’IEP est une institution universitaire de taille moyenne, qui accueille des étudiants très motivés dans le cadre de promotions ayant des effectifs peu nombreux. A l’époque tous les cours sont en français et les enseignants sont très majoritairement des coopérants culturels français. Ce n’est que plus tard que l’arabisation sera généralisée, produisant les dégâts que l’on sait.

Personnellement je ne me suis jamais beaucoup investi dans mes activités d’assistant à sciences politiques. Par rapport à celles-ci, mes motivations sont essentiellement alimentaires. J’assure un service minimum réglementaire. Je suis chargé d’animer des conférences de méthode pour les étudiants de 1ére et 2ème année. Surtout, j’anime un séminaire annuel pour les étudiants de troisième année, sur « l’agriculture algérienne », séminaire auquel participe comme étudiante, notre copine Magalie Laurencin dont le mari, avec qui je travaillais à Grenoble, est assistant à la faculté d’économie d’Alger.

13. Mes retours professionnels successifs en Algérie

Dans la première moitié de la décennie 80, je suis retourné plusieurs fois en Algérie à titre professionnel. Entre 1982 et 1985, je participe comme consultant du BIT à quatre missions dans le cadre d’un projet conjoint BIT-UNESCO dans le domaine de la planification des ressources humaines. Le projet comporte une forte composante nationale qu’anime Safir, un sociologue que je retrouverai plus tard à plusieurs reprises en Côte d’Ivoire où il travaille pour la banque africaine de développement. A l’époque de ces missions, il règne un grand optimisme en Algérie en matière d’emploi. Les principaux indicateurs économiques sont bons. Suite au relèvement des prix des hydrocarbures, le nombre d’emplois crées est supérieur au nombre de jeunes qui rentrent sur le marché de travail, ce qui réduit les tensions sur le marché du travail. Dans ce contexte, le plan se fixe comme objectif, la réalisation du plein emploi à l’horizon 2000 ! Le projet auquel je participe s’inscrit dans cette perspective. Il s’agit de prévoir et de quantifier les besoins de formation correspondants à partir d’études sur la prospective des relations emploi-formation à l’horizon 2000, afin d’anticiper l’offre de formation à mettre en place.

Ma dernière initiative de coopération en Algérie, avec l’université de Constantine

Ma dernière mission en Algérie s’effectue dans le cadre de la cellule de coopération nord/sud de mon université (cf ci-avant) à l’occasion de deux manifestations conjointes qui se déroulent en 2003 à l’université de Constantine : d’une part l’organisation d’un colloque sur le développement local en partenariat avec notre université, et d’autre part la réunion du réseau africain des DESS de développement local.

2. Dans le cadre de la coopération multilatérale, comme expert et consultant du BIT

Mon second long séjour à l’étranger, après l’Algérie (cf ci-avant) se déroule à Madagascar, en tant qu’expert international du BIT. L’expérience professionnelle que j’acquiers à cette occasion me permettra ensuite de participer à de nombreuses missions de consultations pour le BIT en Afrique

21. Expert du BIT à Madagascar

Quand j’arrive à Tana, à 34 ans, je suis un jeune « expert » dans le milieu des Nations Unies et même le plus jeune expert à Madagascar. Je suis très complexé, mais pas pour une question d’âge. J’ai un statut d’expert, et donc par définition je devrais tout savoir dans mon domaine de compétence qui est l’emploi. En réalité, je n’ai aucune expérience professionnelle en matière de coopération technique. Tout au plus une expérience de 16 mois en Algérie comme coopérant militaire. Heureusement je ne m’en tirerai pas trop mal.

 Mon activité professionnelle principale

J’ai un engagement contractuel d’un an renouvelable, comme expert du Bureau International du Travail en « planification des ressources humaines » dans le cadre du projet (MAD/71/534) qui concerne le domaine de la planification. Géré par le bureau régional du BIT, il est rattaché au ministère du plan.

Le projet dans lequel je travaille comprend trois composantes : une composante planification régionale qu’exécute Klaus Ressman un expert autrichien ; une composante amélioration des statistiques agricole qu’exécute Duong un expert vietnamien ; et une composante ressources humaines dont je suis chargé. Au sein du projet, l’objet principal de ma mission consiste à mettre en place une cellule de planification des ressources humaines rattachée à la direction générale du plan et à former les cadres nationaux qui seront chargés de l’animer.

S’agissant du contenu de mon travail, mon activité principale consiste à former mes homologues malgaches en réalisant avec eux plusieurs travaux et enquêtes centrés plus spécifiquement sur l’emploi : un inventaire sur les sources d’information disponibles, un bilan annuel de l’emploi, une enquête sur les emplois dans le secteur moderne, plusieurs enquêtes sectorielles (sur l’emploi dans le bâtiment, dans les transports, dans l’administration…). L’objectif est de doter la cellule de planification qu’il s’agit de mettre en place, d’instruments de connaissance et d’outils d’intervention dans la perspective d’une amélioration des ressources humaines.

Deux activités très secondaires

Conjointement à mon activité principale je mène deux activités très secondaires, mais que j’ai beaucoup apprécié. D’une part, je suis entraîneur « officiel » de l’équipe de foot du ministère du plan, une fois par semaine. D’autre part, j’interviens comme Conseiller technique du principal syndicat des travailleurs malgaches, la FISEMA. Malheureusement, dans cette seconde activité, ma contribution sera modeste. Au total j’aurais moins d’une dizaine de rencontres à titre tout à fait privées et « confidentielles » par rapport à mon chef de projet. Celui-ci n’a jamais accepté, que je coopère avec un syndicat qu’il considérait comme « communiste », et il n’a cessé d’exercer sur moi une pression qui a finie par devenir insupportable

22. Consultant du BIT

Du début de la décennie 80 au moment de mon départ en retraite, j’ai effectué près d’une quarantaine de missions d’expertise dans plus d’une quinzaine de pays africains différents, avec un statut de consultant international des Nations Unies et l’autorisation des autorités de mon université. Dans le temps, les thèmes d’intervention ont évolué mais toujours dans un même domaine, celui de l’emploi et de la formation.

  1. Une première vague de missions sur le thème de  la planification des ressources humaines : à Madagascar en Algérie, au Rwanda et au Burundi. Sur ce thème, outre ces missions à l’étranger, à la demande du BIT je suis chargé en novembre 1985 d’organiser et d’animer à Grenoble, un stage de perfectionnement d’un mois pour 8 fonctionnaires des ministères du travail du Rwanda, du Mali, du Burkina Faso et de Mauritanie sur le thème « Planification des ressources humaines et amélioration des systèmes d’information sur l’emploi ».
  2. Une seconde vague de missions dans le cadre de la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel : au Sénégal en mai 1985, à Madagascar en septembre 1986, au Maroc en août 1988, au Burundi en janvier 1989, en Tunisie en juin 1989
  3. Une troisième vague de missions sur le thème des observatoires de l’emploi et de la formation qui visent la conception et le lancement de dispositifs opérationnels d’amélioration des informations sur l’emploi et la formation sous la forme « d’Observatoires nationaux » : à Madagascar (trois missions en juillet 1990, septembre 1991 et juin 1992), au Bénin (trois missions entre 1993 et 1995), en Côte d’ivoire (deux missions entre 1995 et 1996), au Togo en janvier 1997, au Gabon ( deux missions en mai 1999 et en juillet 2000). Sur le thème des observatoires de l’emploi, outre ces missions sur le terrain, j’anime trois tables-ronde régionales : i)  une première mission conjointe BIT-Banque Mondiale en septembre 1997 en Côte d’Ivoire qui concerne les pays d’Afrique de l’Ouest ; ii) une seconde, pour le compte du ministère français du travail en Tunisie en juin 1999 qui concerne les pays du pourtour méditerranéen (mission) ; iii) une troisième au Cameroun en novembre 2000 qui concerne les pays d’Afrique centrale (mission BIT).
  4. Une quatrième vague de missions sur le thème : « stratégie d’emploi et stratégie de réduction de la pauvreté ». Il s’agit daider les autorités nationales à concevoir et à formuler la composante emploi-formation à intégrer dans les cadres stratégiques nationaux de réduction de la pauvreté. Dans cette perspective j’effectue plusieurs missions : en octobre 2002 au Burkina Faso (mission PNUD-BIT) ; en décembre 2002 au Cameroun (mission BIT) ; en août 2003 au Gabon (mission BIT) ; en juin 2004, janvier 2005 et décembre 2005 en Mauritanie (mission BIT) ; et en novembre 2006 en République Centrafricaine (mission PNUD)… qui sera ma dernière mission d’assistance technique en Afrique (et pas la plus facile !).
9 février 2017

Guide de l’accompagnement des porteurs de projets d’auto-emploi

9782343003191r

Éditions L’Harmattan

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=39707

André Rosanvallon
La Librairie des Humanités
DÉVELOPPEMENT GESTION, MANAGEMENT, ENTREPRISES AFRIQUE NOIRE 

En Afrique, la crise de l’emploi constitue un défi majeur pour les politiques de développement. Il faut créer massivement des emplois dans le secteur moderne (privé, public ou semi-public) et dans le secteur informel (à condition qu’il s’agisse d’emplois décents). Ces opportunités sont limitées. Il reste alors la création d’emploi par l’auto-emploi au sein d’activités génératrices de revenus. Il convient aujourd’hui de renforcer les dispositifs, d’accompagner les porteurs de projets et de renforcer les compétences de leurs agents.
ISBN : 978-2-343-00319-1 • février 2013 • 174 pages 
EAN PDF : 9782296531147

19 mars 2012

Mon intervention Semaine de la Solidarité Internationale

L’aide au développement et les associations de résidents d’Echirolles originaires de pays africains
Intervention à la soirée d’échange organisée par ALESIAH dans le cadre de la « Semaine de la Solidarité Internationale » à Echirolles le 14 novembre 2011
André Rosanvallon. ALESIAH
Il ya un demi siècle, la majorité des pays africains obtenaient leur indépendance politique mettant fin à plusieurs siècles d’exploitation. Commençait alors une nouvelle ère, celle de la coopération technique entre ces pays et les pays du Nord. 50 ans plus tard, force est de constater que la coopération technique entre le Nord et le Sud (en particulier l’Afrique) ne marche toujours pas où marche très mal. En témoignent la persistance des famines dans plusieurs pays du continent, les inégalités croissantes entre le Nord et le Sud et entre les riches et les pauvres au Sud. Ce qui est alors en cause, c’est un demi-siècle de promesses jamais tenues, d’espoirs déçus… mais aussi de gaspillage de générosités militantes qui auraient mérité d’être plus mobilisées sur des opérations d’aide au développement. Sans aucun doute, parmi toutes les situations qui justifient que l’on s’indigne avec force aujourd’hui, l’une d’entre elle est particulièrement intolérable : c’est celle qui tient au sort que l’on réserve à la très grande majorité des populations des pays du Sud et du continent africain en particulier
Ce constat d’une crise de la coopération technique qui perdure,  fait l’objet aujourd’hui d’une grande unanimité parmi les acteurs de la communauté internationale (qu’ils soient donateurs ou bénéficiaires). Par contre, les diagnostics sur les causes  de cette très faible efficacité de l’aide au développement, eux diffèrent. Pour les donateurs et les bailleurs de fonds, cette crise est due au fait que les pays bénéficiaires n’appliquent pas de bonnes politiques et de bonnes méthodes de gouvernance[1], ce qui justifie qu’on leur impose tout un ensemble de conditionnalités incontournables (« On ne vous aidera qu’à la condition que…. ! »). Avec la quasi-totalité des intervenants de terrain dans ce domaine et avec les associations des populations bénéficiaires africaines, mes certitudes sont toutes autres. Ce qui ne marche pas, ce sont les stratégies et les pratiques d’aide qu’appliquent les pays donateurs.
Il y a urgence à sortir de cette crise de l’aide et d’engager une refondation générale des pratiques de coopération et d’aide au développement, tant là bas au Sud qu’ici au Nord, tant aux  niveaux central qu’aux niveaux décentralisés.
C’est dans ce contexte de crise et de recherche d’une nécessaire sortie de crise, que j’ai présenté les résultats d’une enquête sur les associations de solidarité internationale de résidents d’Echirolles originaires d’un pays africain, avant de suggérer quelques alternatives possibles à mettre en œuvre ici au Nord en matière d’aide au développement.
1. Les résultats de l’enquête auprès des associations échirolloises de solidarité internationale.
J’ai mené cette enquête dans le cadre de ALESIAH, à la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011. Comme le précise, le document qui en rend compte et intitulé « Répertoire des associations échirolloises de solidarité internationale » (ALESIAH, mars 2011) : « Ce répertoire, n’est pas un inventaire exhaustif de toutes les associations de solidarité internationale. Il est limité aux associations échirolloises, crées et animées à l’initiative (par ou avec) de résidents  originaires de pays africains et de Palestine. Pour être complet, il faudrait tenir compte de tout un ensemble d’autres initiatives qui ne figurent pas dans ce document : i) de toutes « les antennes » échirolloises des grandes associations nationales civiles (du type médecins du Monde, médecins sans frontière, architectes sans frontières, ingénieurs sans frontières….) ou confessionnelles (du type CIMADE ou CCFD…) ou, ii)  d’associations étrangères culturelles (du type espagnoles, portugaises, maghrébines…) qui développent  de manière plus accessoire des activités de solidarité avec leurs pays d’origine….iii) de toutes les associations locales de solidarité avec les populations défavorisées résidentes à Echirolles (du type le Secours Populaire Français, les Resto du cœur…) et iv) de toutes les associations et initiatives quasiment individuelles qui restent méconnues ou qui ne souhaitent pas se faire connaître publiquement ».
L’enquête porte sur 7 associations : Les amis de l’Afrique (République Populaire du Congo), Les amis de l’Isère (Guinée Konakry), l’ Association Tsararivotroa (Madagascar), La case de Yaba (Côte d’Ivoire), Echirolles-Palestine-Solidarité (Palestine), Femmes et Développement Rural au Cameroun (Cameroun), La maison du Bénin (Bénin).
Après la présentation de ces associations par les responsables des associations présentes[2](présentation qui mériterait un temps beaucoup plus long que celui qui leur était imparti en cette fin de journée), mon intervention s’est déroulée en deux temps autour i) de la présentation de manière plus synthétique d’une part, de la diversité de ces associations à travers les actions qu’elles mènent, et d’autre part ii) des similitudes et les points communs entre elles.
11. La diversité des activités que mènent ces associations
Leurs réalisations  sont multiples et multiformes tant ici à Echirolles que là bas dans leur pays et région d’origine en Afrique[3]
Les activités ici à Echirolles et dans la région
Une activité est spécifique à l’Association Echirolles-Palestine-Solidarité : l’organisation et l’animation de tout un ensemble diversifié d’actions militantes de solidarité avec le peuple palestinien (du type : envoi d’un bateau en Palestine, la campagne « boycott-désinvestissement-sanction…).
Pour toutes les associations, et selon des modalités variables, une activité est centrale. Elle consiste à mener des actions de sensibilisation, d’information et d’éducation auprès de différents publics (Case de Yaba, Femmes et Développement au Cameroun, Maison du Bénin…). Deux moyens sont privilégies : d’une part des interventions en milieu scolaire, et d’autre part l’animation de stages de danse, de chant et de contes… ou de restauration à domicile de plats africains (La Case de Yaba). D’une manière plus générale, ces associations assurent des fonctions pédagogiques d’interface entre ici et là-bas pour mieux faire connaître ici les cultures nationales et locales d’origine, les problèmes et les besoins de là bas… ou plus directement les produits locaux (Palestine, Cameroun..)
Une activité spécifique est particulièrement intéressante dans le domaine économique : l’aide à l’insertion professionnelle par l’économie de femmes africaines résidentes à Echirolles (Case de Yaba).
Les activités et les réalisations là-bas en Afrique
Trois familles d’activités sont plus essentielles, dans les domaines : éducatif, économique et de renforcement institutionnel :
Exemples dans le domaine éducatif
A Madagascar : construction d’équipements scolaires, de deux écoles primaires et d’une maison pour le logement des instituteurs payés par l’association
Au Cameroun : l’organisation de stages de formation en direction des femmes (santé, éducation des enfants) et des jeunes (sur le tourisme rural solidaire), ou encore, l’organisation du chantier de construction du marché sous la forme d’un chantier-école
Exemples  dans le domaine économique
En Palestine : création d’un atelier bois pour les handicapés du camp d’Askar, appui à la restauration du système d’irrigation de la vallée du Jourdain.
Au Cameroun : construction d’un marché couvert et d’un magasin de stockage et de dépôt du matériel agricole
Au Bénin : montage d’un atelier vélo à partir de vélos récupérés dans la région grenobloise
A Madagascar : apport d’équipements nécessaires à la construction d’un puits solaire
Exemples  dans le domaine du renforcement institutionnel
Création et renforcement d’associations de femmes en Côte d’Ivoire et au Cameroun
Aide à la mise en réseau des associations de base au Cameroun, avec la création d’un pôle local de développement associant les groupes de paysans locaux et l’association de femmes avec le projet d’insérer ce pôle dans le réseau « Colombe » qui regroupe 400 associations
Appui à la création d’une association de jeunes au Bénin et d’une association de pisteurs au Cameroun pour le développement d’activités du tourisme solidaire.
Les projets de ces associations là-bas en Afrique
En général, ces projets sont dans la continuité des opérations qu’elles ont menées précédemment pour les consolider et les renforcer. A titre d’exemple, on peut citer les projets suivants :
Dans le domaine éducatif :
Au Congo, la construction et la rénovation de constructions scolaires
En Côte d’Ivoire : la mise en place d’un dispositif de pensionnat pour la scolarisation des jeunes filles en dehors de leur village, ainsi que la réalisation d’une bibliothèque ambulante
Au Cameroun : le lancement de stages de formation professionnelle
Dans le domaine économique
Au Cameroun : l’extension du bâtiment de la femme ruraleavec la création d’un centre de documentation et d’information
A Madagascar : la réhabilitation d’un puits
Au Bénin : la création d’un village touristique
En Côte d’Ivoire : l’aide à l’insertion par le soutien à l’entreprenariat féminin et l’appui au secteur de l’économie sociale et solidaire
Un projet est particulièrement original que développe la toute jeune association « Les amis de l’Isère » en Guinée-Konakry. Il vise à améliorer la sécurité des bateaux artisanaux qui assurent la liaison entre l’île de Fotoba et la capitale Konakry pour le déplacement des villaeois et le transfert des poissons séchés aux habitants de la capitale.
12. Les points communs entre ces associations
Au-delà de cette diversité dans les réalisations et les projets des associations enquêtées, ces dernières présentent un certain nombre de similitudes et de points communs, tant en ce qui concerne leurs forces er leur richesse qu’en ce qui concerne leurs faiblesses et leurs limites.
Les forces de ces associations
a) La qualité et la richesse des solidarités militantes (sociales, économiques, culturelles) que portent et animent ces associations… dans un monde où de telles qualités deviennent rares.
b) Les nouvelles opportunités qu’elles offrent à partir des dynamiques qu’elles sont susceptibles d’entrainer dans les villages et les zones où elles interviennent.
c) Leur capacité à servir d’intermédiaires pour les populations bénéficiaires du Sud avec les acteurs et les donateurs du Nord. A ce titre, elles exercent ici au Nord, les fonctions qu’assurent en Afrique les acteurs que dans le langage du développement on appelle « les courtiers du développement » et qui ont fait l’objet de très nombreuses études et enquêtes[4]. C’est ainsi qu’elles servent d’intermédiaires utiles d’une part avec les donateurs du Nord (en particulier les collectivités locales) et d’autre part avec les opérateurs d’appui technique du Nord (du type ONG, associations de solidarité internationale, étudiants grenoblois stagiaires…).
Leurs faiblesses
L’évaluation précise et la plus exhaustive possible de ces limites et faiblesses reste à faire. A l’issue de cette première enquête on peut en citer un certain nombre qui tiennent :
a) à la faiblesse numérique de leurs moyens, humains et financiers en particulier. Certes, plusieurs ont pu bénéficier de subventions des collectivités locales. Mais ce financement reste très limité. Plusieurs associations se plaignent d’avoir beaucoup de difficultés pour se faire entendre par elles… alors qu’il faut s’attendre à ce que les associations aient des difficultés croissantes à mobiliser de tels financements compte tenu de la crise actuelle qui les frappe.
b) à leur atomisation dans la mesure où ces associations ayant très peu de contacts entre elles, se connaissant mal….entretenant entre elles plus des relations de concurrence (surtout par rapport aux donateurs) que des relations d’échanges et de confrontations d’expériences.
c) à leur « professionnalisme » souvent insuffisant pour pouvoir répondre et satisfaire les conditionnalités qu’imposent les bailleurs de fonds qui sont de plus en plus fortes, et pour faire face à la complexité croissante des dossiers de demande d’aide exigés.
C’est précisément parce que ces associations sont faibles qu’il est urgent de les renforcer (voir point III))
II. Le contexte de l’aide au développement et de la solidarité internationale au Sud : les pratiques de l’aide mises en œuvre par les donateurs
Sur le terrain, ces pratiques sont diversifiées en particulier selon la nature des donateurs, selon qu’il s’agit des grandes agences multilatérales (Banque Mondiale, Système des Nations Unies, Union Européenne..), des institutions relevant de la coopération française, et des institutions de la coopération décentralisée. Encore aujourd’hui ce sont les premières qui dominent très largement le monde de l’aide au développement, compte tenu des moyens qu’elles sont susceptibles de mobiliser. Leur modèle d’intervention est assez semblable autour d’un modèle « conventionnel » ou standard[5] de gestion des projets.
Ce modèle je le connais bien. Je l’ai pratiqué, en tant qu’acteur et intervenant (dans le cadre du système des Nations Unies PNUD et BIT) pendant plus de 30 ans à l’occasion d’une soixantaine de missions dans une quinzaine de pays africains. A la retraite, j’ai eu besoin de procéder à un bilan autocritique de mes interventions sur le terrain en Afrique dans ce cadre, autocritique que j’ai prolongé par la rédaction d’un manuel destiné à tous ceux (étudiants et volontaires non étudiants) qui s’engagent et/ou souhaitent s’engager dans la solidarité internationale. Mon ambition n’était pas de livrer « clés en main » un modèle idéal et généralisable à toutes les situations (lequel n’existera jamais), mais d’accompagner les « apprenants » à expérimenter des pratiques alternatives.
Il n’est nullement question ici de reprendre ici les différents points que j’aborde dans ce livre. Je me limiterai à examiner trois critiques majeures du « modèle conventionnel ou standard » en prenant appui sur mon expérience de terrain et sur les travaux des scientifiques en matière de développement[6], pour ne pas succomber aux dangers du moralisme et des démarches de nature idéologiques.
21. Les pratiques relevant du « modèle conventionnel »
Trois axes font l’objet de ce questionnement. Ils portent : i) sur la temporalité des projets, ii) sur le simplisme des approches qui les sous-tendent, et iii) sur le positionnement et le jeu des acteurs impliqués.
 Le temps des projets et le temps du développement
Le modèle conventionnel de gestion de l’aide est un modèle de gestion à court terme. Dans ce cas, le « temps d’un projet » est un temps court de l’ordre de quelques années (3 ou 4 ans en général). Ce temps court n’est pas le « temps du développement » qui lui est un temps long. Toutes les étapes sont de courte durée : depuis la phase des missions d’identification (souvent de l’ordre de la quinzaine) jusqu’à la phase d’évaluation par un expert (souvent de même durée). Quant à la phase d’exécution, le temps disponible est d’autant plus court qu’une partie importante de celui-ci est absorbée pour satisfaire aux exigences tatillonnes des donateurs et à l’épaisseur des dossiers qu’ils imposent. Tous les acteurs de terrain se plaignent d’avoir à avancer à « marche forcée ».
 Les donateurs veulent des résultats immédiats, immédiatement visibles. Depuis un demi-siècle on est toujours trop pressé.  On a oublié qu’un projet vaut plus par ce qu’il promeut que par ce qu’il produit.
Pour qu’il en soit ainsi, on ne peut pas se contenter de transférer des équipements clés en main (une école, un dispensaire, une route, un barrage…). Comptabilisera t-on un jour, par exemple, le nombre de puits qui ont été creusés en 50 ans en Afrique et qui n’existent plus aujourd’hui, faute d’avoir pris le temps de les inscrire dans la durée ? Pour éviter de telles impasses, il apparaît incontournable de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement (qui ont l’inconvénient pour les donateurs d’avoir des résultats moins visibles) pour que les populations bénéficiaires puissent s’approprier les apports de l‘aide, faire vivre le projet et le prolonger. Cela suppose que l’on respecte les temps nécessaires d’apprentissage, de maturation et d’appropriation, lesquels sont tous des temps longs, dont on ne peut pas prévoir au départ la durée et les séquences d’exécution.
Le « simplisme » du modèle conventionnel… et la complexité inhérente à tout processus de développement
Dans le modèle conventionnel, la vie du projet est un processus assez simple. Le projet repose sur une succession d’étapes qui se déroulent de manière automatique et mécanique. Tout est prévu à l’avance et donc tout est « sous contrôle ». D’abord, on part de besoins définis ex ante, souvent sur la base de solutions « imposées » par les donateurs (voir ci-dessous) et de diagnostics plus ou moins arrogants. Ensuite, sur la base de ces solutions assimilées à des besoins, on se fixe des objectifs que l’on traduit en terme de résultats quantitatifs attendus à la fin du projet. Dans un troisième temps, on définit les activités à réaliser pour atteindre ces résultats. On construit alors le « chronogramme » du projet sous la forme d’un tableau qui pour chaque activité précise : qui fait quoi et à quelle date le résultat attendu sera disponible. Enfin dans un quatrième temps, on en déduit les coûts correspondants et on calcule, le montant de l’aide souhaitée ainsi que le budget prévisionnel du projet. A toutes ces étapes, il faut alors respecter rigoureusement toutes les prescriptions qu’impose le modèle conventionnel
Face à cette coordination mécanique, tous les acteurs des projets sur le terrain le savent bien : toute gestion d’un projet conventionnel se heurte à « deux tyrannies » : la tyrannie du chronogramme et la tyrannie du budget. On part de l’hypothèse que tout est maîtriser et « sous contrôle ». Il est obligatoire alors de respecter à la virgule et à l’euro près, tout ce qui a été prévu à l’avance.
Or la réalité objective du développement est toute autre. Le développement est un processus par définition complexe. Il repose sur des changements et des dynamiques humaines et sociales très souvent imprévisibles ex ante, parfois sous la forme de désordres apparents et d’inattendus. Il ne se laisse pas enfermer ni par des besoins ni par des cheminements définis ex ante pour résoudre des problèmes stables et circonscrits au départ. Ce qui est au cœur du développement, ce sont les notions d’incertitudes, de nécessaires aller-retour, de rapports de force, d’échecs à surmonter…et d’une manière plus générale d’indéterminismes.
Dans cette perspective, la seule stratégie possible est une « stratégie tâtonnante » ou une « stratégie chemin faisant ». Plutôt que d’ignorer la complexité, il faut l’accueillir, chercher à la comprendre, à l’anticiper, à l’analyser pour intégrer ses implications dans une gestion tâtonnante des projets… Il faut aussi introduire dans le budget du projet, une partie de « fonds souple » pour pouvoir financer des activités imprévues au départ mais déterminantes pour la suite, sans avoir à renégocier avec les donateurs les budgets de départ quand ils apparaissent obsolètes.
Les questions liées au positionnement et au jeu des acteurs individuels et collectifs
Ces questions sont aucun doute au cœur de la problématique sur l’efficacité ou la non efficacité de l’aide
Tous les scientifiques ne cessent de répéter une observation de bon sens, mais qui semble ignorée (sauf au niveau du discours) par les « théoriciens » du modèle conventionnel : « sans l’implication des acteurs, les changements ne peuvent tout simplement ne pas avoir lieu…quel que soit le pouvoir que possède le « changeur, c’est le « changé » qui reste maître de la décision finale», P. Bernoux, « Sociologie du changement»
Parmi les nouveaux mots du développement, certains reviennent en boucle : démarche participative, expression des besoins par les bénéficiaires, rapports de partenariat….La pratique sur le terrain est toute autre. Ce que l’on désigne par participation n’est le plus souvent qu’une pseudo-participation (on se contente d’informer sur les choix retenus en se limitant au moment du lancement du projet) ou qu’un alibi.
Deux constats sont particulièrement significatifs du positionnement et du jeu des acteurs dans le modèle conventionnel de gestion de l’aide : d’une part c’est l’offre qui détermine largement la demande, d’autre part un acteur est trop souvent absent : les associations des populations bénéficiaires
C’est l’offre (les donateurs) qui déterminent la demande (les bénéficiaires)
Toute intervention en matière d’aide met en contact une offre (« la main des donateurs ») et une demande (« la main des bénéficiaires). En toute logique, on pourrait supposer que c’est la main qui est déterminante. En réalité, il n’en est rien, c’est l’offre qui détermine la demande à toutes les étapes de la vie du projet : depuis l’identification des besoins, sa conception, sa mise en œuvre et son évaluation finale. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre la voix des acteurs au Sud.[7]
Dans la grande majorité des cas, les donateurs viennent avec leurs solutions que les bénéficiaires ne peuvent pas refuser (Comme nous le dit un proverbe africain « on ne peut pas refuser la main qui donne »). Au  départ leur rôle consiste à rechercher les problèmes qui vont justifier les solutions qu’ils « imposent »[8] alors que l’on peut se demander avec un autre spécialiste du développement D. Sogge « Si ce n’est pas l’aide au développement qui est un problème présenté comme une solution ». On est en droit de s’interroger sur la pertinence de ce qu’ils appellent un partenariattrop souvent les donateurs ne faisant pas véritablement confiance aux bénéficiaires.
La sous estimation des acteurs collectifs alors qu’ils sont multiples
Quand on va sur le terrain, on constate en Afrique (tant en milieu urbain qu’en milieu rural) un véritable foisonnement d’organisations collectives, d’associations à la base, de groupements (de femmes, de paysans, d’artisans, de jeunes…) préexistants à l’arrivée de l’aide. Or ce qui frappe, c’est la marginalisation de ces acteurs collectifs dans la vie des projets. Rares sont ceux qui ont une composante de renforcement de ces acteurs, sans lesquels, il ne peut pas y avoir de véritables appropriations des apports du projet, les populations étant trop pauvres pour intervenir en dehors des réseaux et des rapports de solidarité.
Souvent la mise en œuvre des projets va même à l’encontre de ces organisations que se donnent les populations bénéficiaires. Il en est ainsi quand les donateurs créent une association spécifique des bénéficiaires directs de l’aide qu’ils apportent (dans le but naturellement inavoué de pouvoir mieux contrôler les conditions d’utilisation de cette aide) concurrentes des organisations préexistantes, mais dotées de moyens sans commune mesure entre elles. La fin du projet marque alors la fin des associations spécifiques dans un contexte où les associations préexistantes ont été éliminées de fait dès le moment du lancement du projet.
Dans toute refondation de l’aide, une exigence est incontournable. Il s’agit der renforcer les organisations collectives que se donnent les populations bénéficiaires pour accompagner les dynamiques incertaines induites par tout processus de développement, plutôt que de les ignorer et/ou les marginaliser
Les pratiques relevant de la coopération décentralisée
La coopération décentralisée est elle une alternative aux critiques du modèle conventionnel ? Répondre à cette question n’est pas du tout aisé, pour au moins deux raisons. Premièrement la coopération décentralisée nous renvoie l’image de situations très contrastées et hétérogènes, qui nous invitent à se garder de toutes généralités qui risquent de devenir rapidement abusives. Deuxièmement et surtout, pour répondre à cette question il faudrait pouvoir disposer de résultats d’évaluation, ce qui n’est pas le cas.
L’évaluation des opérations de coopération décentralisée : une exigence incontournable
En matière d’évaluation des opérations d’aide au développement, les collectivités locales ne font pas mieux que les grandes institutions internationales… parfois même elles font plus mal ! Il y a urgence à développer en leur sein une véritable « culture de l’évaluation » et de pratiques en évitant deux écueils : d’une part la recherche de justification à postériori des options de départ, et d’autre part la simple comparaison des résultats quantitatifs obtenus avec les résultats attendus. Ce qui est en cause, c’est le développement d’évaluations – de type auto-évaluation – en y associant effectivement les bénéficiaires et leurs associations (et pas seulement les élus) pour apprécier l’impact de l’aide en terme de changements sociaux et économiques, en prenant appui sur les documents écrits de suivi du projet (rapports écrits de missions sur le terrain des délégations des collectivités du Nord, rapports d’avancement périodiques, rapports financiers…).
Il s’agirait de faire de l’évaluation (en cours de réalisation de l’action de type évaluation-suivi, et à la fin de celle-ci) un temps fort d’un co-apprentissage à la gestion d’une opération d’aide et un levier puissant d’une participation citoyenne à la coopération tant ici au Nord que là-bas au Sud.
Faute de telles évaluations ou du fait de l’insuffisance des évaluations disponibles, on est obligé de se contenter de simples hypothèses à vérifier (quelles soient positives ou négatives).
Parmi ces hypothèses, on citera :
– Au titre des avantages de la coopération décentralisée : la plus grande proximité des opérations avec la réalité et les acteurs du terrain ; leur plus grande souplesse au sein de dispositifs beaucoup moins bureaucratiques
– Au titre des limites : des opérations trop ponctuelles qui s’apparentent trop à du saupoudrage ; l’insuffisance de coordination avec les autres opérateurs de la coopération ; des cohérences limitées entre les composantes de ces opérations(« l’accumulation d’un tas de briques ne fait jamais une maison »)… ou encore des opérations qui se limitent trop souvent à des simples actions de transfert d’équipements du Nord vers le Sud plutôt qu’à l’appui à des opérations de développement….
D’une manière plus générale, la prégnance idéologique de la communauté internationale de l’aide est telle, que les nouveaux acteurs du développement (collectivités locales, ONG…) semblent avoir tendance à recourir – au moins de manière implicite – au modèle conventionnel, ce recours se présentant comme « devant aller de soi ». On serait devant une contradiction majeure : la généralisation progressive par imitation ou par obligation (dans le cadre par exemple de co-financements avec les bailleurs de fonds nationaux ou internationaux, du type Union Européenne) d’une démarche qui ne marche pas.
III. Quelles perspectives pour un renforcement des opérations d’aide au développement ?
Deux remarques préalables s’imposent. D’une part, il est illusoire de penser qu’il existe une solution miracle, parfaite et généralisable. D’autre part, il faut être réaliste. Pendant encore longtemps, le « modèle conventionnel » qu’imposent les grands donateurs, restera la référence incontournable, comme un passage obligé pour la recherche des financements de l’aide.
Toutefois des marges de manœuvre existent, des résistances sont possibles et impératives. Cela impose de nouvelles initiatives au Sud comme au Nord. Dans mon livre sur « La gestion des opérations d’aide au développement » je me suis permis d’avancer un certain nombre de suggestions et de recommandations en ce sens. Sans les reprendre dans le cadre de cette intervention pour des questions de temps, je me contenterai d’évoquer un point particulier qui me semble significatif, autour d’un enjeu majeur qui consiste à développer ici (au Nord et à Echirolles) des pratiques alternatives pour inspirer et susciter de nouvelles pratiques là-bas en Afrique, en prenant le cas des organisations locales de résidents originaires d’Afrique (voir la partie I).
Personne ne conteste la nécessité d’établir un véritable partenariat avec les acteurs du Sud, dans toute démarche de coopération et d’aide au développement. Par contre, au-delà de ce consensus souvent de façade, et pour qu’il en soit ainsi, il faut commencer ici au Nord. Comment peut-on envisager d’être en capacité d’intervenir en partenariat au Sud, si l’on n’est pas capable de le faire ici avec les associations de résidents originaires du Sud ?
Dans cette perspective, et à titre de propositions trois axes pourraient être privilégiés : i) se donner les moyens pour mieux connaître ces associations ; ii) mettre en place un dispositif institutionnel de partenariat ;iii)  renforcer ces associations
31. Mieux connaître ce tissus associatif
La réalisation d’un répertoire de ces associations à Echirolles (voir le point I) est un premier pas, qui en soi est déjà particulièrement intéressant. Il faut prolonger ce travail visant à mieux les connaître, pour les faire mieux connaître, et surtout pour les faire reconnaître.
Cela suppose :
– que l’on complète l’enquête pour la rendre plus exhaustive,
– que l’on actualise chaque année cette enquête en mobilisant éventuellement des lycéens volontaires que l’on pourrait initier à cette occasion aux méthodes d’enquête,
– que l’on diffuse les résultats de ces enquêtes selon des modalités qui restent à définir.
32. Mettre en place ici à Echirolles, un dispositif institutionnel de partenariat
L’objectif serait d’associer plus directement les acteurs de ce tissu aux différentes étapes de la dynamisation des politiques de coopération décentralisée (depuis sa conception et sa formulation jusqu’à sa mise en œuvre sur le terrain et son évaluation). Une telle initiative aurait entre autre avantage de mobiliser utilement pour tout le monde, l’expertise et les connaissances de terrain dont disposent ces associations (en particulier au plan culturel trop souvent sous-estimé par les décideurs du Nord).
Dans cette perspective, il serait souhaitable de constituer et de faire vivre un « comité de pilotage » avec la participation des associations de résidents originaires des pays du Sud.
A Echirolles, un tel dispositif ayant une fonction de consultation et non de décision – laquelle – reste de la compétence des élus – pourrait être très utilement animé par ALESIAH.
33. Le renforcement de ce tissu associatif
Répétons le, c’est parce que ces associations sont faibles qu’il faut les renforcer pour pouvoir mobiliser tous leurs potentiels trop souvent gaspillés. Plusieurs pistes sont envisageables :
– Faciliter la constitution de réseaux entre associations et avec les opérateurs techniques et financiers, pour passer de rapports concurrentiels à des rapports d’échange d’expériences (positives et négatives) par pays et par thème, en s’inspirant de la démarche de Cités Unies France dans ce domaine,
– Aider au rapprochement entre ces associations et le monde universitaire grenoblois, pour mieux mobiliser les opportunités que ce monde recouvre à partir de ses enseignants-chercheurs (surtout quand il existe comme à Grenoble des masters professionnels dans ce domaine), et de ses étudiants (éventuellement futurs stagiaires),
– Créer à Echirolles, une antenne décentralisée au niveau départemental de l’association COSIM (Collectif des Organisations de Solidarité Issues des Migrations),
– Renforcer le professionnalisme de ces associations par l’intermédiaire d’activités de formation selon des modalités à définir en fonction de l’expression de leurs besoins. A ce titre, il y aurait certainement intérêt à compléter les « formations citoyennes » animées par la Maison des Associations, par des formations plus centrées sur l’ingénierie des projets et opérations d’aide au développement.
Conclusion : quelles suites ?
Trop souvent, la préoccupation concernant le montant de l’aide  est prédominante. Sans nier son importance, la question semble être moins celle de son montant[9] que celle des modalités de sa mise en œuvre. Nous avons tenté de montrer que dans le contexte actuel, la recherche de pratiques innovantes avec le monde des associations et des organisations collectives était une exigence majeure et prioritaire dans la perspective d’une aide capable de contribuer à un véritable développement durable[10].
On ne peut pas continuer à reproduire à l’identique des démarches qui marchent mal ou pas. Au contraire, il faut généraliser des démarches en trois temps : un premier temps d’expérimentation, un second temps d’évaluation, avant un troisième temps de généralisation en tenant compte des résultats de l’évaluation.
Naturellement c’est aux acteurs de la coopération  décentralisée et aux associations précédemment décrites à en décider. La balle est dans leur camp.

[1] Naturellement les pratiques de corruption assez généralisées  parmi la grande majorité des pays bénéficiaires de l’aide sont intolérables. On ne doit pas oublier cependant que pour qu’il y ait des corrompus, il faut des corrupteurs !
[2] Je profite de cette note pour réaffirmer combien au cours de cette enquête j’avais été impressionné par l’intelligence que les responsables des associations interrogés  avaient vis-à-vis des problèmes de développement et par la qualité de leur expertise. Je me répète, j’ai beaucoup appris à leur contact et les en remercie avec la plus grande sincérité.
[3] Pour plus de détails on consultera le document  déjà cité : Répertoire des associations echirolloises… »
[4] Ceux ou celles qui sont intéressés (es) sur ces acteurs peuvent se reporter à mon livre « La gestion des opérations d’aide au développement » page216
[5] Plusieurs manuels existent qui présentent ce modèle conventionnel, en particulier celui publié par l’Union Européenne
[6] Ce qui est particulièrement frappant, c’est la cécité intellectuelle (pour ne pas dire plus) des tenants du « modèle conventionnel ». Comme je l’explique de manière détaillée dans mon livre, le modèle de développement qui sous-tend leurs pratiques (lequel s’inspire du modèle de gestion des entreprises capitalistes) est à l’opposé des résultats des travaux de tous les scientifiques de sciences sociales dans le champ du développement (anthropologues, sociologues, ethnologues, économistes du développement…)
[7] Sur quelques extraits de ces paroles, voir mon livre page 81 et la publication du GRAD « Aider n’est pas donné…)
[8] Cf le très utile livre de JD Naudet « Vingt ans d’aide au Sahel : trouver des problèmes aux solutions »
[9] L’aide peut devenir excessive quand elle entraîne des processus de dépendance
[10] Les événements récents du « printemps arabe », nous rappellent l’importance de la société civile pour l’après chute des dictateurs. Il faut en tirer les leçons car sans aucun doute, il y aura à des dates impossibles à prévoir, des révoltes aussi fortes en Afrique au Sud du Sahara
19 mars 2012

Publication tome 3 de la BD « Agathe » : la BD de la coopération internationale

Le GRAD (Groupe de réalisation et d’animation pour le développement) vient de publier le troisième tome d’une très belle et très riche « Bande Dessinée » intitulée « Agathe »dans le domaine de la relation internationale. La BD relate relate l’histoire d’une chargée de mission coopération internationale à travers ses différentes missions sur le terrain.

Le texte ci-dessous reprend l’avant propos que j’ai signé, en introduction de ce troisième tome.

Ses études universitaires achevées après la soutenance de son mémoire(voir « Agathe,agent S.I. »), Agathe part au Burkina Faso, embauchée pour la section « Appui aux femmes » dans un programme public de développement rural. Son histoire croise alors plusieurs autres trajectoires individuelles et collectives qui s’inscrivent toutes dans des démarches de coopération internationale :

  • des projets de la coopération décentralisée au Burkina Faso ;
  • deux programmes au Sri Lanka : un programme de maintien de la paix et un programme de soutien de la pêche artisanale ;
  • un aménagement urbain dans les favellas au Brésil, dont la mise en place de réseaux locaux de crèches et de banques alternatives.

« Agathe » n’est pas une publication ordinaire dans un domaine – celui de la coopération internationale – où la littérature est volumineuse. Elle utilise un support original, et surprenant à priori : la bande dessinée. « Agathe » est une BD conçue et réalisée par le GRAD, et qui -pour l’instant -comprend deux tomes :

  • un tome I « A la découverte de la solidarité internationale »,
  • et ce tome II « Travailler dans la coopération internationale ».

Il s’agit d’histoires illustrées sous la forme d’une suite de dessins qui servent de support graphique à des constats et des analyses sur la réalité de la coopération internationale
Le risque, dans ce type d’exercice, est de privilégier la forme, les côtés ludiques et la dimension amusement de la BD, au détriment du fonds. Ici, il n’en est rien. Le mérite de cette publication est d’être à la fois esthétique et agréable dans sa forme et particulièrement réussie et pertinente quant au fonds. Elle est tout à la fois plaisante et sérieuse.
S’agissant de la forme, on doit reconnaître la qualité narrative des dessins et du graphisme. Les personnages et leurs visages sont toujours très expressifs. Les décors rendent bien compte de la beauté, parfois de la laideur, des paysages. L’utilisation de « textos » au bas d’un grand nombre de dessins est une riche trouvaille qui donne de la convivialité à la narration. D’une manière plus générale, la forme est particulièrement bien adaptée au fonds et renforce le caractère décapant du contenu.
S’agissant du fonds, « Agathe » est sans aucun doute un efficace outil pédagogique compléte les autres publications du GRAD. Ce deuxième volume a plusieurs mérites :

  • c’est un média de sensibilisation et de formation pour ceux qui veulent s’engager ou qui agissent déjà dans la coopération internationale, tant sur les aspects positifs de ces taches que sur leurs aspects négatifs. Il relate des moments d’enthousiasme (sentiment d’être utile, hospitalité et générosité des populations impliquées, ouvertures interculturelle et interpersonnelles…) et des moments de découragement et de « galère ». Et des coléres aussi ! Quand, par exemple, des bailleurs de fonds ou des partenaires de la coopération décentralisée imposent des prescriptions et des pratiques qui ne « marchent » pas ou parfois sont nocives.
  • c’est un « média » réussi d’initiation et de formation qui renouvelle et actualise la manière de traiter de ces problèmes. C’est un support pédagogique qui rend compte de la diversité des modalités de coopération internationale (humanitaire, aide au développement, coopération multilatérale, bilatérale, décentralisée…). Il utilise les mots du langage du développement (cadre logique, arbre à problèmes, participation…fonds non affecté d’avance). Il insiste à juste titre sur la diversité et les contradictions dans les jeux et les stratégies des acteurs ( Nations Unies, Etats, agences d’aide, collectivités locales, ONG, organisations paysannes, groupements féminins….). D’une manière plus générale, la publication rend compte de plusieurs critiques et limites des pratiques courantes actuelles du système d’ aide internationale. Elle témoigne de l’ampleur et de la diversité des enjeux qui sont, bien ou mal, pris en compte par les acteurs locux et étrangers. Elle est une invitation permanente à s’interroger, à faire autrement, sinon à penser autrement.
  • c’est une forme intéressante de captation et de capitalisation d’expériences et un mode particulièrement pertinent d’échange et de diffusion de celles-ci . Soulignons l’intérêt des lexiques présentés à la fin de la BD et qui vise à définir les « mots clés » utilisés dans le texte. Dans le premier tome , 50 expressions avaient été présentées, 40 le sont dans celui-ci, faisant de cette « bande dessinée » une introduction aux 90 fiches « Pour aller plus loin » en cours de publication sur le site http://www.grad-S.net. Chacune de ces dernières, de une à vingt pages par mot clé, apporte (ou signale) des documents d’origine orale ou écrite.

« Agathe » est donc un instrument– et pas seulement une bande dessinée – à recommander vivement à tous ceux et celles (et à leurs employeurs) qui s’interrogent sur leurs pratiques, sur le sens de leur engagement pour un monde plus solidaire et sont à la recherche de pratiques individuelles et collectives alternatives.
Et, au fur et à mesure de sa construction, le site deviendra -à la fois- un outil de référence pour les étudiants et un lieu convivial d’échanges pour les acteurs de la coopération.

André Rosanvallon

** Les deux tomes de la bande dessinée Agathe sont en vente sur la boutique en ligne du GRAD

19 mars 2012

Cahier de la cooperation décentralisée. Coseil Général 38

Le Conseil Général de l’Isère à publié en janvier 2012, le premier numéro de sa revue « Cahier de la coopération décentralisée. Pour un développement durable ».

PRÉSENTATION…………………………………………………………………..4

I/DÉVELOPPEMENT DURABLE : DE QUOI PARLE-T-ON ?…………….7
La naissance du concept
Des enjeux internationaux
Les principes du développement durable
Finalités du développement durable
L’agenda 21, une stratégie politique de développement durable


II/MÉTHODOLOGIE ET PRINCIPES D’ACTION…………………………13

Les différentes phases d’un projet de développement à l’international
Les indicateurs de résultat
L’amélioration continue du projet
Principes d’action
Quelques questions à se poser tout au long du projet


III/
FICHES THEMATIQUES………………………………………………….21
N°1 : L’approche genre
N°2 : L’économie sociale et solidaire


CHARTE DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE POUR LE


DÉVELOPPEMENT DURABLE…………………………………………………37


BOÎTE À OUTILS

19 mars 2012

Bienvenue à tous !

Bienvenue sur mon blog !

André Rosanvallon